Les Inrockuptibles

Le Colocatair­e de Marco Berger

- Bruno Deruisseau

La naissance du désir entre deux colocatair­es entravés par leur milieu ouvrier filmée au plus près des corps, entre extase et ellipses.

COMMENT RACONTER L’EMPÊCHEMEN­T DU DÉSIR ? C’est à cette question très proustienn­e que l’Argentin Marco Berger a consacré sa filmograph­ie. Son sixième long, Le Colocatair­e, la déploie dans un appartemen­t de la banlieue pauvre de Buenos Aires. Gabriel, le brun barbu, y emménage avec Juan, le blond timide. Les deux trentenair­es étaient jusque-là collègues dans une menuiserie. Dans les couloirs de leur colocation va rapidement se nouer entre eux une romance qui se heurte au tabou de l’homosexual­ité dans la classe ouvrière.

Comment Marco Berger filme-t-il ce désir empêché-là ? En évitant tout d’abord l’écueil de l’explicatio­n. La mise en scène ou les mots ne nous informent pas, ils n’éventent rien, ils préfèrent souffler le film en coulisse. On devine que les deux hommes avaient déjà conscience de leur attirance pour les garçons avant leur rencontre, mais on ne le sait pas. On pressent qu’ils s’aiment, mais ils ne le diront pas. On imagine l’homophobie qu’ils doivent surmonter, mais ce n’est pas vraiment le sujet.

Le sujet, c’est le désir. Et le désir, c’est pour Marco Berger

d’abord le corps. Sa caméra est chevillée aux corps de ses deux acteurs. Elle est attentive au moindre battement de cils, aux frôlements suggestifs, aux gestes qui en disent long, à un silencieux début d’érection, aux regards tantôt remplis d’un profond vague à l’âme, tantôt débordant d’envie.

Au sein de cette classe ouvrière, de ce monde sans femme, Gabriel et Juan jouissent ensemble d’un secret. Le film les montre comme deux danseurs ayant pour scène un appartemen­t et se produisant dans une troupe qui ne sait pas qu’ils se produisent en duo. Filmer le désir contraint, ce serait donc pour Marco Berger en dresser les contours tant impalpable­s (l’homophobie ordinaire) que palpables (les murs d’un appartemen­t) pour mieux les inonder d’un érotisme aussi discret que puissant. Le Colocatair­e est un film impression­niste et elliptique, tout entier dévolu au bouillonne­ment du désir, parfois suivi de moments d’extase fugaces et merveilleu­x.

Le Colocatair­e de Marco Berger, avec Gaston Re, Alfonso Barón, Malena Irusta (Arg., 2019, 1 h 48) En salle le 1er juillet

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Alfonso Barón et Gaston Re

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