Les Inrockuptibles

THE KING OF STATEN ISLAND

Une comédie mélancoliq­ue signée Judd Apatow

- Jacky Goldberg

“JUST WHAT I AM” : C’EST AVEC CE TITRE DE KID CUDI QUE S’OUVRE, CRÛMENT, “THE KING OF STATEN ISLAND”. La tentative de suicide qui s’ensuit n’a pas grand-chose de comique et pose la tonalité d’ensemble du sixième long métrage de Judd Apatow : la mélancolie. C’est pourtant bien une comédie que l’auteur de 40 ans, toujours puceau signe à nouveau ici, mais dans une veine plus torturée que les précédente­s – seul Funny People s’aventurait aussi loin dans les eaux boueuses du calcul névrotique. Si tous les fondamenta­ux de son cinéma demeurent, il y a ici quelque chose de plus rugueux, à vif, comme ces peaux fragiles sur lesquelles Scott tatoue sans talent.

Scott Carlin, c’est l’antihéros typiquemen­t apatowesqu­e, imaginé et interprété par Pete Davidson. Ce dernier, star précoce du Saturday Night Live

(il y est entré à 20 ans en 2014), n’a pas eu à chercher bien loin pour pondre le scénario du film : il s’est inspiré de sa propre adolescenc­e, l’étirant jusqu’à

24 ans, comme un vieux chewing-gum sous ses sneakers de slacker incapable de quitter le cocon familial, pour mieux raconter sa poisse existentie­lle.

Connu pour ses accès de morosité sous sa gangue comique, l’acteur n’est pas sans rappeler Buster Keaton, avec ses grands yeux tristes et son allure de dadais dégingandé, mais en version lessivée, stoner, toujours déjà fatigué.

Roi déchu sur son île perdue en face de Manhattan (si loin, si proche), il vit avec sa mère (la toujours sublime Marisa Tomei), pleure son père, pompier mort le 11-Septembre, déteste son nouveau beau-père (pompier lui aussi, interprété par le stand-up comedian Bill Burr) et s’entoure, pour atténuer sa peine, de beautiful losers, comme lui (Bel Powley, Ricky Velez, Moises Arias), tous extraordin­airement drôles et touchants, capables d’exister en quelques répliques.

Apatow, aidé cette fois du chef opérateur de Paul Thomas Anderson Robert Elswit, le saisit à la perfection dans sa stase, notamment dans la première moitié du film, où il s’adonne à ce qui a toujours été son plus grand plaisir : filmer la glande joyeuse. C’est vraiment là, dans cet épanchemen­t verbal très seventies (Cassavetes, Ashby, Mazursky comme horizon esthétique) qu’Apatow est à son meilleur. Le film dure 2 heures 15, mais on aimerait que ces scènes soient encore plus longues.

Dans sa seconde partie, le film se structure peu à peu autour de la nécessité, pour Scott, de dépasser ses névroses, de grandir – éternel dada d’Apatow, dont on sent bien qu’il a tout fait pour amener son poulain sur ses terres, signant un film aussi personnel que quand il s’appuie sur sa propre biographie. Le cinéaste plonge alors son héros dans une caserne de pompiers, au contact d’une brigade aussi raffinée qu’un régiment de cavalerie dans un film de John Ford (Steve Buscemi, nouveau John Wayne ?).

On craint à un moment la leçon de maturité un peu épaisse, mais c’est là, heureuseme­nt, que le film a l’intelligen­ce de ne pas aller plus vite que son personnage, de faire confiance à son seul vrai talent : sa capacité à tout rater, y compris les étapes attendues du scénario. Ainsi, même s’il a progressé, Scott/Pete/ Judd demeure fidèle à lui-même : juste ce qu’il est.

The King of Staten Island de Judd Apatow, avec Pete Davidson, Marisa Tomei (E.-U., 2020, 2 h 15). En salle le 22 juillet

 ??  ?? Pete Davidson et Steve Buscemi
Pete Davidson et Steve Buscemi

Newspapers in French

Newspapers from France