Les Inrockuptibles

HOTEL BY THE RIVER

Un conte d’hiver de Hong Sang-soo

- Murielle Joudet

Un vieux poète, une femme abandonnée, des animaux, la neige : le cinéaste coréen signe un magnifique conte d’hiver épuré où fiction et personnage­s tendent vers l’effacement.

DANS UN HÔTEL PRÈS D’UNE RIVIÈRE, UN HOMME (KI JOO-BONG) SE RÉVEILLE et son premier regard est pour le ciel. Il se lève, ouvre sa fenêtre, sa voix intérieure constate : “Il fait encore froid aujourd’hui, j’aimerais que ce froid s’en aille.” Dehors, au bord de la rivière, il reconnaît une cliente de l’hôtel (Kim Min-hee) enveloppée dans son long manteau, “elle s’est blessé la main ?”. Dans Hotel by the River, les personnage­s de Hong Sang-soo ne sont plus que des surfaces sensibles sur lesquelles s’impriment des sensations, des images : la couleur du ciel, les contrastes thermiques, le froid dehors, la neige, la chaleur du café, de la soupe. Le canard, le chien et le chat qui s’ébattent dans la blancheur du paysage, les pies qui font leur nid dans un arbre. Le monde est un jardin de beautés ténues, qu’une intrigue trop imposante viendrait affaiblir – il faut ne pas en faire plus que la branche ou la pie, qui pourraient, on le sent, devenir à leur tour les protagonis­tes du film.

Le vieux poète vient se reposer, gracieusem­ent invité par le gérant de l’hôtel qui admire son travail. Il reçoit la visite de ses deux fils ; rien qui puisse véritablem­ent bouleverse­r sa retraite et son calme intérieur. La jeune femme, aussi, vient se reposer d’une rupture douloureus­e avec un homme marié. Rejointe par une amie, elles passent leurs journées à dormir pour le seul plaisir de se réveiller et de constater qu’elles peuvent se rendormir, indéfinime­nt, jusqu’à ce que la faim ou la soif vienne – des journées entières à écouter son corps et ses murmures.

Hong Sang-soo a passé une filmograph­ie à dévider ses plans pour n’en garder que l’essentiel : très vite on pensait qu’il n’y avait plus rien à enlever, que la prochaine étape serait l’écran noir. On s’est trompé·es : avec Hotel by the River, il parvient encore à soustraire : pas de marivaudag­e, la narration s’en tient à des incidents suffisamme­nt anecdotiqu­es pour ne pas que la fiction s’emballe. Comme si toutes les actions et tous les gestes étaient engourdi·es, enseveli·es par la neige qui recouvre tout, nivelle les existences (humaine, animale, végétale). La blancheur est là, partout : Kim Min-hee enroulée dans son large pull blanc, endormie sur son grand lit blanc – la fiction peut attendre, elle peut même s’en aller.

La neige figure un désir secret de disparitio­n – le vieux poète s’éclipse à plusieurs reprises, se fait longuement attendre, écrit un poème sur la neige. Tout le monde semble vouloir prendre congé du film, à commencer par Hong Sang-soo, qui paraît de plus en plus intraçable, efface ses empreintes pour ne pas qu’on puisse remonter jusqu’à ses intentions : pas d’histoire ni de conte moral à tirer d’Hotel by the River – le scénario cherche à son tour l’enseveliss­ement. On pense à l’oeuvre de l’écrivain suisse Robert Walser, fasciné par la neige, mort dans ses bras, laissant derrière lui de frêles morceaux de prose, des annotation­s, écrivant non pas pour s’ériger en Auteur mais pour se diluer dans ses observatio­ns, disparaîtr­e de soi. Et Hong Sang-soo de filmer comme pour dire à son tour : “je ne suis pas là”.

Hotel by the River de Hong Sang-soo, avec Ki Joo-bong, Kim Min-hee, Kwon Hae-hyo (Cor. du S., 2018, 1 h 36). En salle le 29 juillet

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