Les Inrockuptibles

Police d’Anne Fontaine

- Théo Ribeton

Trois flics parisien·nes sont chargé·es de superviser l’expulsion d’un sans-papiers. L’examen d’une crise de conscience empesé par ses bons sentiments et un traitement assez convenu.

IL Y A DEUX FILMS DANS “POLICE”. LE PREMIER CHRONIQUE LA VIE D’UN COMMISSARI­AT, entrecrois­ant quelques affaires en cours (une femme battue, un enfant maltraité, une interventi­on violente de maintien de l’ordre) dans le but de nous présenter trois policier·ères parisien·nes pris·es dans le vif de leur quotidien ; puis, dans la seconde moitié du film, le récit se réduit à une seule intrigue (la reconduite nocturne d’un migrant vers l’aéroport d’où il doit être expulsé), et le ton lui aussi change, à mesure que les trois fonctionna­ires, l’esprit moins chahuté, se mettent peu à peu à ruminer leurs choix moraux, le rôle qui est le leur, et l’éventualit­é d’une désobéissa­nce. Double régime donc : quotidienn­eté, police “telle qu’elle est”, qui encaisse et fait comme elle peut ; puis stase autoréflex­ive, dissipatio­n du chaos, crise de conscience, police qui se regarde, se pense.

Anne Fontaine ne réussit pas vraiment le premier acte, qui plus est celui où on l’attend le plus au tournant du fait du lourd passif pialato-maïwennien ( Police, 1985 ; Polisse, 2011) d’un tel titre. Elle cherche manifestem­ent cet “effet de réel” en centrifuge­use, de récits parcellair­es entrechoqu­és, de vérisme ; mais elle cache mal sa difficulté à se jeter pour de bon à l’eau et laisser déferler les flux de vie, tant elle s’obstine à tout retenir en hors-champ, fixée en cadre serré sur des visages coupés du tumulte (Efira, absorbée par de tristes pensées tandis que ses collègues jouent de la matraque à quelques mètres de là – c’est quand même bien commode).

Le second est celui sans doute qui l’intéresse le plus, mais il s’enlise dans un dilemme moral assez bas du front : Tohirov, Tadjik sans papiers, est cueilli dans son centre de rétention et plonge dans un mutisme mêlé de terreur durant tout le trajet qui le sépare de l’aéroport, amenant ses escortes policières à envisager de croire à son histoire d’exil politique et de gorilles l’attendant à l’atterrissa­ge pour le zigouiller – même si, comme dit l’un d’eux, “on achète ces histoires pour 19 euros à Barbès”. Alors, que penser ? P’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non : plus près de la réponse de Normand que du cas de conscience cornélien, le film s’applique à mesurer la morale de ses personnage­s à l’aune de ce seul point. Mais l’idée est d’une naïveté telle que d’une part elle déréalise complèteme­nt le film, et surtout elle lui arrange beaucoup trop le coup : assez fort de café que de jouer l’honneur de la police sur un dilemme aussi binaire et stérile, trois quarts d’heure après nous avoir montré un Omar Sy exultant dans sa fourgonnet­te à l’idée d’aller se bastonner avec des petits délinquant­s.

Tout ceci est donc bien mignon mais accuse une déconnexio­n carabinée de son temps : dans un tel contexte de questionne­ment des violences policières, deux semaines à peine avant la sortie du documentai­re que leur consacre le journalist­e David Dufresne (Un pays qui se tient sage), on pourra trouver ce Police un peu largué – aussi bien par son naturalism­e à la brutalité convenue que par son humanisme de béni-oui-oui.

Police d’Anne Fontaine avec Virginie Efira, Omar Sy, Grégory Gadebois, Payman Maadi (Fr., 2020, 1 h 39)

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Virginie Efira, Grégory Gadebois et Omar Sy

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