Reality flow
Avec Pour de vrai, ICHON signe un premier album introspectif et suave qui, délivré des codes du rap game, dévoile une touchante quête de vérité.
“CET ALBUM, C’EST UN PEU GRÂCE À VOUS ! LES CONCERTS DANS LES KIOSQUES LÀ, TU TE SOUVIENS ?”
Le 30 août 2017, Les Inrockuptibles fêtaient leur nouvelle formule en organisant une série de concerts gratuits autour des kiosques parisiens. Outre Juliette Armanet, François & The Atlas Mountains, Roméo Elvis et Agar Agar, Ichon était de la partie. “PH Trigano m’accompagnait sur ce truc. En répétant pour le concert, on s’est mis à composer de nouvelles chansons. Je me suis dit que j’allais faire mon premier album comme ça, avec lui.”
Le rappeur/chanteur et le producteur ont donc poursuivi durant trois ans le travail entamé et accouché d’un premier lp étrangement baptisé Pour de vrai, qui sort le jour du trentième anniversaire d’Ichon. Parce que son prédécesseur, à l’intitulé tout aussi improbable, Il suffit de le faire (2017), n’avait pas eu le droit au titre royal d’“album” mais à celui, un peu moins imposant, de “mixtape”. Pourquoi ? Parce qu’un premier album, partout mais surtout dans le monde impitoyable du rap, nécessite pression et précision, dextérité et confiance, histoire de ne pas se planter devant l’assemblée. Alors, Il suffit de le faire fut intronisée mixtape. Très bien par ailleurs, la mixtape, avec suffisamment de rage et de douceur pour faire vriller en complexité et qui valut à Yann Bella Ola, alias Ichon, un grand portrait dans ce magazine ainsi qu’un passage aux Inrocks Festival en novembre 2017 avec le collectif de rappeurs Bon Gamin, formé avec Loveni et Myth Syzer.
Ichon a raison. Un fossé sépare la mixtape de l’album, du moins dans ce cas précis, l’une rappée et castagneuse, l’autre doux et chanté. Mais, surtout, un fossé de délicatesse et donc, peut-être, de maturité. Il le dit lui-même : son approche de la vie “a changé”. Il a suivi une thérapie, arrêté la drogue (sans préciser laquelle), renoué avec sa famille, mais surtout freiné des deux pieds. Tout allait trop vite, il se sentait prisonnier de cases, obligé d’aller à contre-courant, de faire son rebelle. Bref, d’être cool. “Je voulais me faire une place.” Il n’ajoute pas “à tout prix”, mais on l’entend. C’est marrant, sa mixtape ne s’en ressentait pas. Ichon jouait déjà ouvertement avec les apparences, singeant le jeune cadre supérieur en posant en costard-cravate et sourire Ultra Brite sur la pochette. On le voyait ironique, moqueur vis-à-vis de la course au succès et le monde des images. Mais, a priori, il s’y est tout de même laissé enfermer : “Je me suis dit que c’était mon premier album. Je voulais un big truc. On a fait des rendez-vous avec des labels pendant un an. Ça traînait. Il manquait toujours quelque chose. Je faisais tous les moves qu’ils voulaient. J’envoyais des messages aux rappeurs et aux chanteuses que je connaissais pour des featurings et aucun ne me répondait positivement… Maintenant, je pense que je devais être seul à ce moment-là, faire mon truc à moi. J’ai cru devoir être validé par les autres, sauf que non, je ne fais pas du business ! Si je faisais du business, je serais trader !”
Si PH Trigano a grandement contribué à la production du disque, Pour de vrai reste une affaire solitaire. L’histoire d’un garçon un peu paumé qui s’arrête pour se regarder dans la glace. “Miroir, miroir, dis-moi qui je suis/Qui je fuis”, chante-t-il sur le refrain du bien nommé Miroir. “Devant le miroir, je me sens timide/Tout le
monde me croit invincible”, enchaîne-t-il. Plus haut : “Je croyais que c’était ça que t’aimais/Avoir les poches pleines, baiser des grosses chiennes, avoir des grosses chaînes/ Est-ce que tu t’entends parler ? T’es pareil, t’es comme les autres/Comme les rappeurs des banlieues pauvres/Au lieu de t’envoler, t’essayes de voler les autres.” On sent qu’Ichon se parle à lui-même et que ce n’est pas une partie de plaisir.
Les productions sont douces, suaves, tranquilles. On y glisse comme dans un bain crémeux.
“J’ai plus envie d’être comme ça/Si je finis seul je l’aurai mérité”, chante-t-il sur la très belle Elle pleure en hiver qui accueille les choeurs de Sabrina Bellaouel (nouvelle signature du label InFiné). Pour de vrai se clôt sur un morceau baptisé
Pas facile, tout un programme ! “A quoi bon jouer ce jeu puisqu’on m’a menti et que j’ai grandi”, lâche-t-il. “A chaque fois qu’on est deux/Tout va de mal en pis.”
La rupture est consommée, le coeur, brisé. D’où, peut-être, aussi, l’apprentissage
On sent qu’Ichon se parle à lui-même et que ce n’est pas une partie de plaisir
du piano – qui s’accorde très bien aux brisures sentimentales et à l’introspection – qu’Ichon ne pratiquait pas et dont il joue beaucoup sur l’album.
On sent du mystique chez Ichon. Du moins une quête de sens, de vérité, d’être. Lui dit avoir retrouvé le “on dirait qu’on serait” de l’enfance. Il explique : “Quand t’es petit et que tu joues avec tes jouets. Tu t’envoles, ou tu penses que ta Barbie est vraiment là, qu’elle mange vraiment avec l’ours en peluche. T’es dedans, t’y crois. Je fais la même chose. D’où le titre Pour de vrai.” Ichon assure ne pas avoir plus d’attente que cela, avoir pris ses distances avec la surconsommation, le luxe et la luxure, la “fast fashion” et la réception du public. Mais il a “grave envie de chanter (ses) chansons en concert”. “Mon kiff, c’est d’être sur scène, de m’entendre dans le micro.” Ichon a donc donné des concerts privés, dans la forêt, a chanté aux arbres aussi, et compte bien trouver un moyen de refaire du live, même si c’est virtuel, même si c’est seul, même si ce n’est que devant dix personnes. “J’ai dû prendre de la distance/Ça m’a sauvé la vie de prendre de la distance”, reconnaît-il sur Litanie dans un étrange reflet de l’époque. Dans le clip, c’est en jupe et soutien-gorge sous une veste de costume qu’Ichon saute seul dans une piscine. On ne sait pas bien s’il remonte à la surface. Ça n’est jamais simple de se regarder dans le miroir.
Pour de vrai
(911 & Savoir Faire/ The Orchard)