Les Inrockuptibles

Sole de Carlo Sironi

- Jean-Baptiste Morain

Un jeune paumé s’attache à une mère porteuse immigrée. Loin de s’appesantir sur les thèmes qu’il effleure, le film puise ses émotions dans le jeu de miroirs entre ses deux acteur·trices.

UNE STATION BALNÉAIRE DE LA CÔTE ITALIENNE, n’importe où, partout. Un jeune homme très renfermé, Ermanno, duvet au-dessus de la lèvre, orphelin, vit de rapines (il vole des Vespa qu’il revend à un ferrailleu­r). Le reste du temps, il joue aux machines à sous ou regarde la télévision. On dirait que “no future” est gravé dans son cerveau. Son oncle Fabio lui confie un travail un peu particulie­r : sa femme et lui ne peuvent pas avoir d’enfant. Ils ont fait appel à un réseau qui leur envoie une jeune Polonaise enceinte, Lena, air boudeur, queue-de-cheval sur le côté, qui accepte de leur donner la petite fille qu’elle attend contre 10 000 euros. Ermanno devra s’occuper d’elle, la surveiller, lui donner de quoi manger et s’habiller jusqu’à l’accoucheme­nt. Reconnaîtr­e le bébé. Puis, Lena partie, Ermanno laissera son oncle et sa tante adopter l’enfant.

L’intérêt du film de Carlo Sironi, présenté l’année dernière en compétitio­n officielle à la Mostra de Venise, ne réside guère dans l’étude d’un réseau de trafic d’enfants (question qui, sans être éludée, n’est pas au coeur du récit). Le film ne juge même pas les futurs parents qui ont acheté un bébé. La question est plus conceptuel­le, même si le film est loin d’être froid. Car toute sa mise en scène, et c’est en cela qu’il est assez fascinant, réside sur le contraste entre le jeu extrêmemen­t blanc, ou vide, de l’interprète d’Ermanno, Claudio Segaluscio, qui n’est pas acteur, et l’expressivi­té de Sandra Drzymalska, la jeune actrice polonaise encore inconnue qui incarne Lena.

A vrai dire, Sole, c’est presque l’applicatio­n parfaite, sur une heure et demie, de ce qu’on appelle en montage “l’effet Koulechov” (l’un des principes du cinéma découvert par le réalisateu­r et théoricien russe en 1921) : accolez au même visage inexpressi­f les images d’une assiette de soupe, d’une jeune femme morte dans un cercueil ou d’une petite fille en train de jouer. Le spectateur croira voir, alternativ­ement, l’appétit, la tristesse ou la tendresse sur le visage de l’acteur, alors qu’il n’exprime toujours rien.

En somme, le visage de Lena sert à donner des sentiments à celui d’Ermanno, et c’est grâce à elle que nous comprenons peu à peu que les sentiments inexprimés du jeune homme à l’égard de la jeune femme et du bébé sont en train de changer. C’est assez vertigineu­x, et très émouvant.

Sole de Carlo Sironi, avec Sandra Drzymalska, Claudio Segaluscio, Barbara Ronchi (It., Pol., 2019, 1 h 40)

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