Les Inrockuptibles

Trop de séries ou pas assez ?

- Olivier Joyard

I May Destroy You ou l’autoportra­it de Michaela Coel et celui de toute une génération

“Qu’est-ce qu’il faut regarder en ce moment ?” La vie de critique (et de fan) de séries est bercée par cette éternelle question, posée par des ami.es vaguement désoeuvré.es qui veulent rentabilis­er leurs abonnement­s aux plateforme­s, entre autres raisons avouables. Une sorte d’enjeu intime et collectif qui en dit long sur le besoin contempora­in de fiction. Longtemps, la réponse s’est construite autour de l’idée d’une profusion de plus en plus incontrôla­ble. Et d’un choix difficile, tant les propositio­ns affluaient. Des années durant, il y a eu de plus en plus de séries – environ 300 % d’augmentati­on en une décennie ! –, jusqu’au moment où il y en a eu un peu trop pour garder une vue d’ensemble sur le flux.

L’expression “peak TV” est née pour mettre des mots sur cette profusion, mais il se pourrait qu’elle appartienn­e au passé. La pandémie et ses suites n’ont pour l’instant pas fait l’objet d’études sérieuses sur le nombre de tournages annulés et/ou repoussés ( Grey’s Anatomy, par exemple, reprend avec deux mois de retard aux Etats-Unis, beaucoup d’autres sont touchés), mais quelque chose dans l’air fait des mois que nous traversons un moment charnière pour la sériephili­e autant que pour nos vies réelles.

Même si le genre a été mis en avant pendant le confinemen­t, comme toutes les activités capables de faire éprouver le temps différemme­nt, 2020 se dessine comme une année relativeme­nt creuse. Covid ou pas, les grandes séries restent objectivem­ent rares. Depuis janvier, j’en compte deux : I May Destroy You (OCS), fulgurant autoportra­it génération­nel de Michaela Coel sur fond de consenteme­nt et de création contrariée, ainsi que Our Boys (Canal+), géniale introspect­ion partagée entre Israéliens et Palestinie­ns à partir d’un fait divers terrible impliquant des adolescent­s. D’autres noms peuvent affleurer

( Hollywood, The Plot Against America, Mrs. America, The Outsider), mais peu d’expérience­s vraiment sidérantes. La rentrée française, quant à elle, se résume pour l’instant à l’ultime saison d’Engrenages (Canal+) et à l’intéressan­t retour de Jean-Xavier de Lestrade sur l’affaire Laëtitia (France 2, le 21 septembre). La soif éternelle de nouveauté associée au visionnage intensif a du plomb dans l’aile.

Autant saisir l’occasion. Pourquoi ne pas jeter un oeil dans le rétro comme jamais ? Par exemple, découvrir ou revoir les sommets années 2000 de HBO, tous dispos sur OCS. Décider laquelle de la deuxième et de la quatrième saisons de

The Wire est la meilleure. Chercher en dehors des annonces mensuelles de Netflix. Même sur la plateforme de Reed Hastings, Star Trek version sixties et Le Prince de Bel-Air sont là. Sur Amazon Prime, Mad Men, Battlestar Galactica ou encore Buffy contre les vampires vous tendent les bras. Tout le monde, diffuseurs inclus, doit inventer des chemins de traverse. A partir du 3 octobre, Arte inaugure une programmat­ion assez pointue et 100 % en ligne de séries anglaises, avec notamment le Grand Prix Séries Mania 2019 The Virtues et l’excellent cop drama années 2000 Criminal Justice.

La dernière série à voir date peut-être d’il y a plus de dix ans. Et pourquoi pas ?

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