Les Inrockuptibles

Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal

- Bruno Deruisseau

Pour son premier rôle principal, la drôle et touchante Laure Calamy s’embarque dans une longue marche avec un âne rétif. Un joli néo-western féministe.

ALORS QUE DÉBUTENT LES VACANCES D’ÉTÉ, Antoinette, maîtresse d’école et du père d’une de ses élèves, s’apprête à partir avec son amant. Mais ce dernier lui fait faux bond au dernier moment et lui annonce qu’il part finalement faire une randonnée de

220 km avec sa femme et sa fille dans les Cévennes, sur le chemin de Stevenson (l’auteur de L’Ile au trésor en a dessiné le tracé en 1878). Antoinette décide alors de partir au même endroit et d’effectuer le même trajet, dans l’espoir de le croiser au détour d’un chemin. Marcheuse fort peu aguerrie, elle est flanquée de Patrick, un âne récalcitra­nt et cabochard.

Comédie la plus réussie de cette rentrée, Antoinette dans les Cévennes marque le retour à la réalisatio­n de Caroline Vignal, dont le premier film,

Les Autres Filles, sortait il y a exactement vingt ans. Le film offre surtout à Laure Calamy son premier rôle principal. Dans ce personnage d’amante délaissée, qui rappelle celui qu’elle campait dans la série Dix pour cent, son jeu tout en drôlerie burlesque et en gênance, derrière lesquelles affleure le tragique d’une solitude sentimenta­le déchirante, se déploie à merveille.

La plus belle idée du film, labellisé Cannes 2020, est de faire de ses deux références à l’imaginaire cinéphile une délicate mécanique du rire. D’un côté, la cinégénie de l’âne, cette façon de tirer parti de l’extrême mélancolie qui se

dégage de l’altérité de cet animal, c’est

Au hasard Balthazar de Robert Bresson (1966). De l’autre, ce personnage de femme seule qui doit recomposer ses vacances d’été à l’aune d’une déception et alors qu’une dépression l’assaille, c’est évidemment Le Rayon vert d’Eric Rohmer (1986). Caroline Vignal le cite d’ailleurs ouvertemen­t à travers un personnage secondaire incarné par Marie Rivière, actrice mythique du film de Rohmer. Lors d’une scène de repas en extérieur et comme si c’était son personnage du Rayon vert qui revenait à la vie pour conseiller sa semblable, elle encourage Antoinette à poursuivre sa lutte contre sa solitude estivale et vante le courage dont elle fait preuve en prenant en main son destin.

Et comme dans le film de Rohmer, c’est de la confrontat­ion avec le paysage que viendra le salut de son héroïne. Tout au long de cette longue marche avec Patrick, elle accomplit une forme d’émancipati­on thérapeuti­que par la nature et finit par s’affranchir de la lâcheté de son amant. Néo-western féministe mené au pas, cette comédie se verrait bien assortie du proverbe “Mieux vaut marcher sans savoir où aller que rester assis·e sans rien faire”.

Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal, avec Laure Calamy, Benjamin Lavernhe, Olivia Côte (Fr., 2020, 1 h 35)

Lire aussi notre portrait de Laure Calamy p. 20

 ??  ??
 ??  ?? Laure Calamy
Laure Calamy

Newspapers in French

Newspapers from France