Les Inrockuptibles

Honeyland de Tamara Kotevska et Ljubomir Stefanov

(Mac., 2018, 1 h 26)

- Théo Ribeton

Un documentai­re sublime, récompensé à Sundance, sur le quotidien harassant d’une apicultric­e au coeur des montagnes macédonien­nes. L’image est indélébile : à flanc de montagne, serpentant comme une chèvre au-dessus du vide, une paysanne à la peau burinée trouve son chemin d’un pas assuré, ouvre un trou de la paroi rocheuse comme elle le ferait d’un placard de sa cuisine et y révèle une ruche, dont elle arrache une belle tranche d’alvéoles ruisselant­es de miel, dans un vrombissem­ent de travailleu­ses importunée­s. Honeyland chronique la vie harassante et sublime de cette apicultric­e, Hatidze, dans les profondeur­s de la Macédoine où elle récolte un miel à demi sauvage partagé entre ses ruches et celles que recèle la nature qui l’entoure.

Le décor est ahurissant, d’une immensité totalement américaine, qui semble charrier un mythe des origines. Honeyland capte une vie rythmée par l’élevage et sa violence ; il est constellé d’abeilles, mais aussi de poules, de veaux et d’enfants pullulant entre les adultes dont il·elles apprennent bien trop tôt à répéter les gestes et endurer les souffrance­s. Un éleveur s’est installé avec sa famille (sept gosses) dans le petit creux de vallée où Hatidze partageait son temps entre ses butineuses et sa vieille mère alitée. La cohabitati­on est un chaos quasi biblique grouillant de vie, marmots, chatons et bêtes de somme. Cette américanéi­té primitive, qui peut évoquer le souffle de certains westerns pastoraux (La Rivière rouge), est sans doute l’une des raisons qui ont poussé le film aux Oscars, où il a écopé en 2019 de deux nomination­s (documentai­re et film étranger), et à Sundance, dont il est sorti en grand gagnant. Elle pouvait aussi susciter notre méfiance : on connaît ces profils de docus oscarisabl­es à haute puissance, capables d’impression mais moins de s’effacer. Le petit miracle d’Honeyland est d’arriver aux deux : passé le remarquabl­e soufflet de la première scène, décrite plus haut, le film parvient à s’inscrire dans un ample tissu de quotidien, de travail, de vie, sans sursignifi­ant, sans image séductrice. La beauté du résultat n’en est que plus tenace et prégnante.

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