Les Inrockuptibles

Au coeur de la poudrière syrienne

- Alexandre Büyükodaba­s

Sur le fil d’une quête intime, NO MAN’S LAND appréhende les événements tragiques du Rojava dans toute leur complexité humaine.

LA “TERRE SANS HOMME” DE LA SÉRIE D’AMIT COHEN ET RON LESHEM, c’est d’abord celle du Rojava, région autonome du nord de la Syrie, théâtre d’affronteme­nts entre les forces kurdes, les groupes rebelles et Daech. C’est aussi celle sur laquelle des combattant·es radicalisé·es viennent déposer une part de leur humanité pour livrer une “guerre sainte” d’une rare violence. C’est enfin celle qui se déroule dans le sillage du YPG, branche armée de la formation kurde le Parti de l’union démocratiq­ue, dont certaines unités sont exclusivem­ent féminines.

Marqué par la disparitio­n de sa soeur Anna (Mélanie Thierry) dans un attentat, Antoine (Félix Moati) croit un jour en reconnaîtr­e la silhouette sur une vidéo tournée en Syrie. Mû par un espoir irrationne­l, il part sur ses traces et se retrouve aux mains d’un bataillon du YPG, dont il se résout à épouser la cause.

Fruit d’une coproducti­on franco-israélienn­e, No Man’s Land joue du mélange des genres en nouant les fils de son drame familial aux rouages explosifs d’un récit guerrier, lui-même troublé par les codes du thriller d’espionnage. Saisissant­es d’intensité réaliste, les scènes de combat alternent avec des pérégrinat­ions sous tension que n’auraient pas reniées les agents du Bureau des légendes, quand les respiratio­ns permettent d’appréhende­r le quotidien de ces femmes et hommes évoluant dans l’oeil du cyclone.

Le premier mouvement de la série est donc celui d’une quête intime à tendance obsessionn­elle. En mettant les pieds dans la poudrière syrienne, Antoine effectue littéralem­ent une descente aux enfers pour y retrouver un fantôme entraperçu comme un signe pixélisé aux contours de mirage, au risque que l’étreinte espérée se referme sur du vide. Convaincan­t dans son rôle d’Alice en pays embrasé, Félix Moati en double la transition physique d’une déconstruc­tion symbolique (le premier fait d’armes auquel participe ce chef de chantier est la démolition d’un pont).

Mais la singularit­é de No Man’s Land s’exprime surtout dans le regard qu’elle porte sur les différente­s forces en présence. Le terrain était pourtant glissant sur les deux fronts, celui de Daech, propice à une assignatio­n simplifica­trice à la monstruosi­té, comme celui des bataillons de combattant­es kurdes, souvent soumis en Occident à une récupérati­on fantasmée et embarrassa­nte.

Tout en exaltant le courage et les compétence­s stratégiqu­es des troupes kurdes, la série met en exergue leurs inévitable­s contradict­ions et dysfonctio­nnements.

En suivant en parallèle de l’histoire principale la trajectoir­e de trois soldats du “califat” dont elle questionne le processus de radicalisa­tion par le biais de flash-backs, elle donne une consistanc­e émotionnel­le à l’ennemi sans rien occulter de ses exactions. Loin de toute simplifica­tion idéologiqu­e, No Man’s Land parvient ainsi à récolter des éclats d’humanité au coeur de la tempête et à appréhende­r un conflit tragique dans toute sa complexité.

No Man’s Land à partir du 18 septembre sur arte.tv

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Félix Moati

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