Les Inrockuptibles

“Laëtitia”, au-delà du réel

- Olivier Joyard

A partir du féminicide d’une adolescent­e en 2011, Jean-Xavier de Lestrade échafaude une minisérie minutieuse qui touche juste.

UNE NUIT DE JANVIER 2011, LAËTITIA PERRAIS, BALADÉE DEPUIS L’ENFANCE AVEC SA SOEUR JESSICA entre foyer et famille d’accueil, était violée puis assassinée à l’âge de 18 ans par Tony Meilhon. Le point final d’une vie toujours chaotique et parfois lumineuse. Une tragédie sur laquelle Ivan Jablonka a enquêté longuement avant d’écrire Laëtitia ou la fin des hommes, en 2016. Après la littératur­e, la télé s’empare de ce récit violent de la misère et du patriarcat grâce à une adaptation en minisérie signée JeanXavier de Lestrade – auteur notamment d’Un coupable idéal et 3 x Manon.

L’ambition de ces six épisodes est assez rare sur le service public pour être mentionnée. Si la fiction française nous a habitué·es à saisir de front des problémati­ques dites de société à travers des faits divers marquants – on pense par exemple au récent téléfilm avec Muriel Robin dans la peau de Jacqueline Sauvage sur TF1 –, c’était souvent pour fabriquer des pensums plus ou moins intéressan­ts, sans préoccupat­ion esthétique minimale. Ici, de l’air entre dans les plans, quelque chose d’un réalisme habité traverse le projet, dont on se demande ce que les frères Dardenne en auraient fait.

Jean-Xavier de Lestrade se saisit de l’affaire sous tous ses angles : l’histoire d’une jeunesse perdue très tôt à cause d’un père frappant et violant la mère de Jessica et Laëtitia, l’enfer d’une famille d’accueil dont le patriarche commet

attoucheme­nts et agressions, une fragilité extrême causée par les abus masculins que le système de protection sociale ne réussit pas complèteme­nt à voir ni empêcher. Construite à travers plusieurs strates et scrutant différente­s époques de la vie de la jeune femme, Laëtitia se regarde comme une réflexion sur la lutte entre le déterminis­me et quelque chose de plus impalpable : un mystère fondamenta­l, le trou abyssal du sens quand une vie dérape.

Jean-Xavier de Lestrade insiste sur ce point, ne prétend pas tout comprendre, sans croire pour autant que le mystère des êtres paumés suffit à expliquer le destin de l’adolescent­e. Au contraire, le réalisateu­r pose le mystère comme une donnée de départ mais s’emploie ensuite à décortique­r minutieuse­ment tout ce qui paraît explicable : le système inconscien­t régissant une société qui frappe les plus faibles et objectifie les femmes, les folies familiales touchant la plupart des protagonis­tes. Le prix à payer pour ce choix rigoureux peut être celui d’un léger éloignemen­t de l’héroïne. Malgré l’excellente Marie Colomb, le personnage de Laëtitia s’égare parfois dans le flux des informatio­ns et des sensations mises en scène par ailleurs. Mais cela reste un problème mineur, tant la série touche juste en ne prenant jamais son sujet de haut.

Laëtitia les 21 et 28 septembre à 20 h 55 sur France 2 et à partir du 18 septembre sur France.tv

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Marie Colomb (Laëtitia) et Noam Morgenszte­rn (Tony Meilhon)

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