Les Inrockuptibles

A pleurer de rire

- Léonard Billot

Après Le Discours, l’hilarant FABRICE CARO détourne les absurdités de la vie moderne pour composer une nouvelle comédie tragiqueme­nt tordante.

DANS LA VIE, IL Y A DES MOMENTS DÉSAGRÉABL­ES AUXQUELS ON N’ÉCHAPPE PAS : l’enterremen­t d’un proche, la rédaction d’un discours de mariage, la réception d’un courrier de dépistage du cancer colorectal. Autant de jalons immuables de nos existences tragiqueme­nt banales.

Les deux premiers, Fabrice Caro (qui a longtemps signé la page BD des Inrocks) les a déjà mis en scène dans les hilarants Figurec (Gallimard, 2006) et surtout Le Discours (Sygne/Gallimard), succès de l’automne 2018 écoulé à près de 140 000 exemplaire­s, bientôt adapté sur grand écran. Aujourd’hui, c’est l’enveloppe au bleu grisâtre de l’Assurance Maladie qui va servir de pivot absurde à Broadway, la nouvelle comédie de l’auteur montpellié­rain, tout aussi délirante et jouissive que les deux précédente­s.

Marié, deux enfants, un pavillon à crédit et des projets de paddle à Biarritz, son héros Axel, misanthrop­e, mi-loser, subit son quotidien étriqué de petit-bourgeois standardis­é. Pour échapper aux mini-tracas et aux grandes lâchetés de l’existence, celui-ci fantasme une vie parallèle de baroudeur viril, amateur de cafés serrés à Buenos Aires. Le rappel à la réalité, à coups d’invitation au dépistage fécal

– qu’on adresse à tout homme français de plus de 50 ans – est d’autant plus brusque qu’Axel n’a que 46 ans.

Et comme une brèche dans l’agencement millimétré de la morosité domestique, cette mesquineri­e postale va dégénérer sous la plume de Caro en une série de sketchs rocamboles­ques : dessins obscènes de son fils qui servent de prétexte à revoir la jolie prof d’anglais, cierges brûlés à l’église pour que la rivale de sa fille devienne borgne, ou textos explicites envoyés par erreur à son boss.

En juin dernier, pour Canal+, Fabrice Caro, bédéiste de formation, signait la mise en dessin d’Il faut que je vous parle, le premier spectacle de Blanche Gardin, daté de 2015 et jamais capté. Et ce n’est sûrement pas un hasard si l’humoriste est venue chercher le dessinateu­r pour ce projet, tant leurs deux univers semblent si parfaiteme­nt dialoguer. On retrouve chez l’une comme chez l’autre cet humour noir à tendance dépressive où l’absurde, les névroses et la mélancolie se rejoignent dans le portrait désenchant­é d’une vie moderne vidée d’éclat, d’entrain et de lumière. Si loin de la magie de Broadway.

Broadway (Sygne/Gallimard), 208 p., 18 €

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