Les Inrockuptibles

Ma saison préférée

- Igor Hansen-Løve

blablabla

Bousculé par le coronaviru­s, le FESTIVAL D’AUTOMNE conviait son public les 5 et 6 septembre à un week-end d’ouverture inédit, marqué par les mises en scène matinales de Gwenaël Morin et un spectacle réjouissan­t signé Emmanuelle Lafon.

IL EST 6 HEURES DU MATIN DANS LE BOIS DE VINCENNES. Il fait froid. Il bruine. Le portable ne capte pas. Nous sommes une dizaine à avancer machinalem­ent vers une boule lumineuse qui vient d’apparaître dans le noir. Quelques mètres plus loin, une femme vêtue d’un imper gris surgit de l’obscurité. Elle indique une ligne rouge dans l’herbe et chuchote : “Attention ! Vous allez pénétrer dans le cercle magique !” Puis elle disparaît dans la nuit. On se croirait dans un film de David Lynch, ou à la fin d’une free party. Mais nous sommes à l’ouverture du Festival d’Automne, à la Cartoucher­ie de Vincennes pour assister, en ce samedi 5 septembre, à trois pièces de Sophocle ( Ajax, Antigone et Les Trachinien­nes) mises en scène par Gwenaël Morin. Soit quatre heures de tragédies antiques, à découvrir debout, sous la pluie, après une – trop – courte nuit. La radicalité de l’expérience annoncée frise le masochisme. Mais le jour va se lever. Et la rentrée théâtrale est en train d’avoir lieu.

“Certains spectacles ont été annulés, explique Emmanuel Demarcy-Mota, directeur général du festival, de nouveaux projets ont vu le jour, comme ce week-end d’ouverture inédit. Mais nous devions retrouver le public, il en allait de notre responsabi­lité envers les artistes. Ils doivent montrer leur travail. Au fond, nous ne savons pas de quoi demain sera fait.”

On compte à vue de nez une centaine de spectateur·trices (plus du double était inscrit sur liste d’attente) ; surtout des jeunes, fanatiques du théâtre public.

A 6 heures 30, Ulysse entre en scène, il a 20 ans et apprend le massacre des bêtes de l’armée grecque par Ajax. Gwenaël Morin, en transe devant ses comédien·nes, propose une mise en scène à l’os : ni décor, ni costumes, ni lumière, ni l’ombre d’un effet, mais une intensité folle, une urgence palpable, presque punk, qui ne faiblira jamais. Voir cette jeune troupe, à l’aube, portée par le souffle antique se déchaîner contre les éléments est une expérience cosmique. Dommage que le public ne soit pas plus nombreux.

La suite se déroule dans un contexte plus habituel. A 14 heures 30, le public masqué se retrouve dans l’enceinte de l’Espace Cardin du Théâtre de la Ville, à quelques encablures de la Concorde. Adultes, parents et enfants sont venus voir blablabla d’Emmanuelle Lafon, du collectif Encyclopéd­ie de la parole. Pendant un peu moins d’une heure, seule en scène, l’incroyable Armelle Dousset imite à la perfection des voix enregistré­es et captées au hasard du quotidien – celles, par exemple, de la RATP, d’un Photomaton, du générique du dessin animé Peppa Pig ou encore d’une youtubeuse mode –, modelant l’ensemble avec un humour délicieuse­ment absurde et une énergie réjouissan­te. Les rires enfantins explosent. Puis toute la salle est pliée en deux. Ce jour-là, pour un peu, on avait l’impression que le monde du théâtre s’était remis de la pandémie et que tout était rentré dans l’ordre.

Festival d’Automne à Paris jusqu’au 7 février 2021

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Armelle Dousset dans

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