Les Inrockuptibles

Laure Calamy

- TEXTE Bruno Deruisseau PHOTO Charlotte Robin pour Les Inrockupti­bles

Si LAURE CALAMY vient du théâtre, beaucoup ont découvert son talent burlesque grâce à la série Dix pour cent. Tête d’affiche de la très bonne comédie Antoinette dans les Cévennes, elle a pu y laisser libre cours à son tempéramen­t.

SI L’ON PEUT APPRÉCIER LA CARRIÈRE D’UN·E ACTEUR·TRICE SELON UN AXE HORIZONTAL (le paysage cinématogr­aphique dessiné par ses rôles) et un axe vertical (les grands rôles qui émergent de ce paysage et le dépassent), la carrière de Laure Calamy s’est jusque-là plus développée sur le premier. De la série Dix pour cent au cinéma d’auteur (ses rôles chez Justine Triet, Alain Guiraudie, Emmanuel Mouret, Guillaume Senez, Dominik Moll, Léa Mysius et Mikhaël Hers) en passant par le théâtre (elle a joué, entre autres, pour Olivier Py et Vincent Macaigne), ses yeux de chat et son nez mutin nous sont devenus familiers. Il lui manquait pourtant cette verticalit­é, ce palier à franchir entre l’enchaîneme­nt des seconds rôles (pour lesquels elle a été nommée deux fois aux César) et le premier. Elle le fait de la plus belle des manières dans le second film de Caroline Vignal, Antoinette dans les Cévennes, où elle incarne une maîtresse déçue qui, avec un âne pour seul compagnon, part à la chasse de son amant qui s’est dérobé en partant avec sa famille en randonnée dans les Cévennes.

Lorsqu’on lui demande si elle vit ce premier rôle comme une consécrati­on longtemps attendue, elle relativise : “Je suis arrivée dans le cinéma un peu par hasard, vous savez. Je suis d’abord une actrice de théâtre. Je ne pensais pas faire du cinéma un jour. Quand j’étais plus jeune, je passais un casting par an, que je ratais. J’avais l’impression de ne correspond­re à aucun rôle à l’époque. Mon exubérance ne cadrait pas avec les personnage­s de jeunes femmes. Et quand on raconte la jeune femme, il y a aussi très souvent un idéal de beauté auquel je ne correspond­s pas. Mais j’étais très épanouie au théâtre durant toutes ces années. Puis, à partir d’Un monde sans femmes, j’ai commencé à avoir des propositio­ns pour de petits rôles, puis de vrais seconds rôles. A ce moment-là, mon physique, mon tempéramen­t ont correspond­u à des rôles de femmes de plus de 30 ans, comme si ce type de féminité n’avait le droit d’être représenté qu’après cet âge-là. Peut-être aussi que le cinéma a un peu changé, grâce à l’arrivée de jeunes auteur·trices comme Justine Triet,Vincent Macaigne, Antonin Peretjatko,Yann Gonzalez et d’acteur·trices comme Lætitia Dosch ou Vimala Pons. C’est une génération un peu plus herbes folles que la précédente. Et aujourd’hui, je suis très heureuse d’avoir ce premier rôle, d’expériment­er ce que ça fait que de venir du premier au dernier jour sur le tournage.”

On lui a souvent associé l’adjectif pétillante, mais ce serait occulter la face B de son disque solaire. Si ses personnage­s sont souvent au premier abord frivoles, ils cachent une tragédie intime qui affleure dans sa façon de jouer la maladresse et le brûlant désir d’être aimée. D’une certaine façon, ses personnage­s de Noémie dans Dix pour cent, de Patricia dans Un monde sans femmes, de Maud dans Ava et ici d’Antoinette sont cousines du même combat contre leur solitude sentimenta­le. A ce type de rôle s’ajoutent des interpréta­tions plus tenues (dans Mademoisel­le de Joncquière­s ou Nos batailles) ou alors plus sombres (son rôle de prostituée dans La Contre-Allée de Cécile Ducrocq).

Dans Antoinette dans les Cévennes, son talent tragicomiq­ue déploie tous ses atours : “Ce que j’ai adoré avec le film de Caroline, c’est qu’elle filmait beaucoup en plan large ou en plan pied. Sa grammaire de mise en scène, inspirée de Stromboli de Rossellini, correspond­ait à mon jeu d’actrice. Un peu comme au théâtre, cela me laissait de la place pour jouer avec mon corps, ses accents burlesques et son exubérance. J’adore chuter par exemple. J’aime me jeter dans les choses, me vautrer dans le pathétique, dans le ridicule, dans le tragique, tout cela en même temps.”

Une grande part du comique du film repose sur la coexistenc­e dans le plan de ce corps outré avec le stoïcisme de l’âne. Ou plutôt des deux équidés : “Oui, nous avions deux ânes sur le tournage. Il y en avait un qui était très dressé et un autre beaucoup plus brut et peureux. C’est avec celui-ci que j’ai noué une vraie relation. Il s’est épanoui durant le tournage. Contrairem­ent à l’autre, chaque chose lui semblait nouvelle, il était tout le temps étonné par ce qu’il se passait entre nous. Lors du dernier jour de tournage, on l’a applaudi après sa dernière prise comme on a coutume de le faire pour les acteurs. Et là il s’est mis à me lécher comme il ne l’avait jamais fait auparavant. Je crois qu’il sentait que c’était la fin du tournage.”

Comédie ultra-réussie, Antoinette dans les Cévennes est aussi une oeuvre féministe. Un engagement chevillé à la pratique de l’actrice : “Ce film est pour moi assez female gaze. C’est une femme de 40 ans qui, d’un coup, ne se laisse pas faire par la vie. Elle affirme aussi sa légèreté, face au monde, face aux hommes. Chez une femme de cet âge-là, c’est moins raconté. Elle n’est pas que délaissée, elle va faire d’autres rencontres et s’émanciper. Son trajet est politique et je trouve ça très beau. Le problème, c’est qu’on ne parle pas assez de la violence des femmes. On ne le leur en donne pas le droit.”

Avant de la voir prochainem­ent en femme de chambre d’hôtel de luxe chez Eric Gravel, en prostituée chez Cécile Ducrocq et dans un rôle plus vénéneux chez Sébastien Marnier, on la reverra bientôt en réalisatri­ce en plein burn-out dans une scène follement drôle de Garçon chiffon de son ami Nicolas Maury (le 28 octobre) : “On a eu un coup de foudre d’acteurs puis amical sur le tournage de Dix pour cent avec Nicolas. Nous tendons vers les mêmes choses, c’est-à-dire la liberté la plus extrême, et cela passe déjà par une liberté par rapport au genre. Quand je joue, je veux être au-delà des sexes.

Je me sens trans, vraiment.”

Lire la critique du film p. 61

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A Bonnelles, en septembre

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