Les Inrockuptibles

La crème anglaise

- Alexandre Büyükodaba­s

Arte inaugure son offre de séries en ligne par UNE SÉLECTION RÉSOLUMENT BRITISH, qui conjugue réalisme social et expériment­ations singulière­s.

LE 3 OCTOBRE, ARTE LANCE

UNE OFFRE SÉRIES DÉGAGÉE DES CONTINGENC­ES DE DIFFUSION classiques puisque exclusivem­ent en ligne. Appelée à s’enrichir au fil des semaines (on attend avec impatience Hatufim et Criminal Justice), cette collection, libre d’accès, se présente sous des auspices résolument british : la séminarist­e Ainsi soient-ils mise à part, les premières oeuvres proposées embrassent la diversité de la production anglaise contempora­ine.

L’anthologie Inside No. 9 en constitue la pièce la plus singulière. De cet ovni télévisuel, jamais diffusé en France malgré ses cinq saisons au compteur, ne nous étaient parvenus que des échos qui en attisaient l’aura comme un secret d’initiés. Ses créateurs, Reece Shearsmith et Steve Pemberton, l’ont conçue comme un laboratoir­e propre à expériment­er une grande variété de genres et de sujets. Ayant pour seul point commun le fait de se dérouler dans un décor marqué du chiffre 9, les épisodes déroulent une narration tout en fausses pistes et chausse-trapes, où l’art du twist règne en maître.

Si l’on regrette que la plupart des récits finissent par piéger leurs personnage­s dans des résolution­s cruelles, difficile de ne pas être séduit·e par les tours de force de cette série en perpétuell­e réinventio­n. Du pilote presque intégralem­ent tourné dans un placard (instaurant

Inside No. 9 (saison 4) le confinemen­t comme l’un des principes structuran­ts de l’oeuvre) à un braquage sans dialogue pensé comme un hommage aux maîtres du burlesque, en passant par un épisode écrit en pentamètre­s iambiques ou un autre tourné et diffusé en direct, Inside No. 9 ouvre son inventivit­é à tous les vents.

Loin de comprimer l’émotion, de petites mécaniques bien huilées la laissent au contraire affleurer entre leurs rouages, ou la diffracten­t en rayons sinueux qui nous atteignent par surprise. En un battement de cils (le temps d’un twist), les retrouvail­les tendues d’un duo de comiques se chargent du poids des regrets, et les souvenirs marquants de la vie d’une femme se recoupent avant un dernier saut dans l’obscurité.

Sur un tout autre registre, The Virtues s’ancre sur les terres d’un réalisme social à l’anglaise, labourées notamment par Ken Loach ou Mike Leigh. Inspirée par le vécu de son créateur, Shane Meadows, elle scrute l’effondreme­nt de Joseph, un homme brisé et alcoolique qui doit faire face au départ de son fils vers

ovni télévisuel jamais diffusé en France, constitue la pièce la plus singulière de l’offre

l’Australie, où il va vivre avec sa mère et son beau-père. Il décide alors de revenir sur les traces de son enfance traumatiqu­e en Irlande.

Si la série peut rebuter par sa noirceur absolue et sa façon de ne rien nous épargner de la déchéance d’un corps (larmes, morve ou vomi s’y répandent en une purge symbolique), elle frappe par sa justesse d’interpréta­tion et sa capacité à invoquer, dans le sillage de son personnage cabossé, les fantômes d’un pays meurtri.

On ne s’attardera pas outre mesure sur Stag, comédie horrifique boursouflé­e aussi déplaisant­e que ses personnage­s, dans laquelle un enterremen­t de vie de garçon en Ecosse vire au jeu de massacre, et on laissera Ill Behaviour déplier son argument douteux (deux potes kidnappent leur ami pour le forcer à traiter son cancer) en embardées cyniques pour jeter un oeil amusé à A Young Doctor’s Notebook.

Inspirée des écrits de Mikhaïl Boulgakov, cette plongée décalée dans le quotidien d’un hôpital russe reculé en 1917 trouve dans son étonnant principe narratif – un jeune médecin inexpérime­nté converse avec le praticien reconnu qu’il est devenu (ou l’inverse ?), ce qui donne matière à une satire médicale grinçante. Et si le présent et le passé s’y frottent convulsive­ment, les figures qui leur donnent corps semblent elles aussi hantées par les rôles saillants de leurs interprète­s – Harry Potter pour Daniel Radcliffe, Don Draper pour Jon Hamm –, teintant leur rencontre d’une lecture extra-diégétique surprenant­e.

Séries à la demande à partir du 3 octobre sur arte.tv

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Steve Pemberton et Hattie Morahan dans

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