Les Inrockuptibles

Recherche en cours

- Fabienne Arvers

Comme un clin d’oeil à la trop longue fermeture des théâtres, CHRISTOPHE HONORÉ ouvre la saison de la Comédie-Française avec Le Côté de Guermantes, tome central d’A la recherche du temps perdu.

“BIEN SÛR QU’IL EST RIDICULE DE PRÉTENDRE ADAPTER PROUST, au théâtre comme au cinéma”, écrit Christophe Honoré aux acteur·trices de la Comédie-Française en mai 2019. Soyons plus sentimenta­ux, plus scrupuleux. Je ne vous propose pas une adaptation mais une séance de nécromanci­e.” Cette feuille de route liminaire à la création du Côté de Guermantes, tome central d’A la recherche du temps perdu, s’avère aujourd’hui doublement emblématiq­ue de l’aventure engagée avec la troupe du Français. D’abord, la Comédie-Française étant en travaux pour plusieurs mois, parce qu’elle se joue au Théâtre Marigny, situé au coeur des jardins des Champs-Elysées où se déroule une partie des faits rapportés par Marcel, le narrateur – et non des moindres : la mort de sa grand-mère. Ensuite, parce que la création devait avoir lieu en avril dernier mais, après quatre semaines de répétition, tout s’arrêta pour cause de confinemen­t.

Pour Christophe Honoré, Proust s’est naturellem­ent imposé lorsqu’Eric Ruf lui a proposé une création au Français. “Depuis Plaire, aimer et courir vite, Proust m’accompagne dans beaucoup de créations, que ce soit le spectacle Les Idoles ou le film Chambre 212. C’est une lecture qui m’a souvent aidé, soutenu, voire stimulé dans

Lors du filage de la pièce, à Paris, en septembre

Chambre 212, sur cette idée d’un passé recomposé, retrouvé. Je me suis dit que c’était quelque chose que je n’oserais jamais faire au cinéma, à raison ; alors, à tort, pourquoi ne pas essayer de le faire au théâtre ?” Depuis trois semaines, le travail a repris là où il s’était arrêté en mars, “au moment où on commençait à comprendre ce qu’on allait faire”. Lorsqu’on se rend à une répétition à dix jours de la première, l’ambiance est pourtant détendue. Pas de panique à l’horizon. Juste une équipe au travail, comédien·nes masqué·es sur le plateau, écoutant les indication­s données par Christophe Honoré avant de reprendre la scène où Rachel (Rebecca Marder) et Saint-Loup (Sébastien Pouderoux) se disputent en présence de Marcel (Stéphane Varupenne).

A la précision de la chorégraph­ie gestuelle mise en place doit s’accorder la liberté d’être dans le ressenti, enjoint Christophe Honoré aux acteur·trices : “N’ayez pas peur de sortir un peu de vos partitions.” Sur le sol en damier noir et blanc du décor, le hall d’un hôtel particulie­r parisien, Rachel se tient nue, debout dans une vasque, pendant que son amie lui verse de l’eau pour la laver.

Au micro, Saint-Loup chante Léo Ferré, Ton style. En fond de scène, un double paravent constitué de bandes verticales de miroirs ne reflète que des brisures d’images.

Comme une allégorie de l’entreprise menée par Proust tout au long de La Recherche, titanesque dans son désir de reconstitu­tion impossible d’un passé révolu, collection hétéroclit­e de personnage­s, de lieux, de paroles et d’atmosphère­s que la mémoire réagence. A l’image de l’adaptation réalisée par Christophe Honoré : “J’ai travaillé d’une manière scénaristi­que en choisissan­t les moments que j’avais envie de garder, plutôt que d’essayer de condenser plusieurs moments en un seul. Je me suis appuyé sur les personnage­s pour diviser le livret en huit chapitres, qui portent chacun le nom d’un personnage.”

Chacun d’eux cristallis­e les enjeux du Côté de Guermantes, cette comédie sociale explorant les classes sociales dépeintes par Proust, les affaires politiques de l’époque, celle de Dreyfus en tête, l’amour et la mort, ce legs littéraire qui hante le XXe siècle et coïncide avec l’idée que Christophe Honoré se fait du théâtre : “J’ai beaucoup convoqué les fantômes au théâtre, dans Nouveau Roman ou Les Idoles. Dans un sens, ces personnage­s sont des fantômes pour Proust. J’ai l’impression que le théâtre est le bon lieu pour communique­r avec eux et essayer de leur redonner une possibilit­é d’être là pendant l’instant de la représenta­tion avant de disparaîtr­e à nouveau.”

Du théâtre au cinéma, il n’y avait qu’un pas à franchir. Alors, du temps perdu que fut le confinemen­t pour le théâtre, Christophe Honoré aura gardé des traces en tournant dix jours fin juin “un film absolument improvisé, sans scénario, d’une troupe empêchée de travailler à qui on annonce qu’elle ne va pas jouer. Il essaie de rendre compte de cette troupe au travail, de la période et de Proust.” L’image fantôme d’une recherche en cours.

Le Côté de Guermantes d’après Marcel Proust, mise en scène Christophe Honoré, avec la troupe de la Comédie-Française. Jusqu’au 15 novembre, Théâtre Marigny, Paris

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