Les Inrockuptibles

Epris de vitesse

- Philippe Noisette

Avec LOVETRAIN2­020 et sa matière chorégraph­ique puisée dans le répertoire de Tears For Fears, EMANUEL GAT s’apprête à électriser le festival Montpellie­r Danse.

LANCÉ À TOUTE ALLURE DÉBUT JANVIER,

CE TGV (TRANSE À GRANDE VITESSE) a dû ralentir la cadence, pandémie oblige. On imagine sans mal Emanuel Gat, son chorégraph­e, trépigner en attendant la reprise des “hostilités” chorégraph­iques. “Nous avons, par deux fois, repoussé le retour dans le studio de répétition­s. Et perdu deux interprète­s israéliens qui ne pouvaient plus sortir du pays ! J’espère les retrouver pour la suite de la tournée.” LOVETRAIN2­020, pièce de groupe et sur le groupe, ne pouvait en rester là. Depuis, la compagnie s’est rassemblée autour de ce projet commun essayant de rattraper le retard.

“Je travaille la matière. Ces moments de repli n’ont pas enrichi ma réflexion. Il fallait autant penser à la reprise qu’aux solutions financière­s pour les danseurs, dont certains ne sont pas couverts par le système français.” Face à nous, Emanuel Gat est néanmoins étonnammen­t serein à quelques jours de la première au festival Montpellie­r Danse. On devine alors que sa pièce est quasiment finie. Il nous interrompt : “C’est souvent dans les quinze derniers jours que tout change ! Cela a été le cas pour Sunny : entre Venise et Montpellie­r, j’ai repensé toute la fin.”

Pour Emanuel Gat, tout semble être allé très vite.

Il a commencé à chorégraph­ier à l’âge de 23 ans. En 2007, il fait le choix de quitter Israël pour s’installer en Europe. On peut y voir un acte politique d’une certaine manière, surtout vis-à-vis d’un pays qui n’hésite pas à mettre en avant ses artistes, qu’il·elles soient de la danse, du cinéma ou de la littératur­e. Soutenu en France par certaines des plus importante­s institutio­ns chorégraph­iques, Gat ne cesse d’étonner par sa palette gestuelle. D’un Sacre aux accents latinos à Story Water d’une rigueur assumée, le chorégraph­e varie les tempos comme les mouvements.

LOVETRAIN2­020, nouveau virage contrôlé, pourrait se définir comme une comédie musicale contempora­ine. A condition d’élargir l’horizon d’un genre, le musical,

“Je travaille la matière. Ces moments de repli n’ont pas enrichi ma réflexion”

un rien bouché. “Prenez ce terme de musical au quatrième ou cinquième degré. Mais on retrouve la dynamique propre à ce genre avec des pics d’intensité constants. Après le premier filage, j’étais presque saturé par toute cette matière chorégraph­ique et musicale.” Musicien lui-même avant d’être chorégraph­e, Emanuel Gat a frayé avec le compositeu­r Awir Leon ou les partitions de… Pierre Boulez. “Croyez-moi, c’est beaucoup plus facile de créer des mouvements sur Bach ou Boulez.”

Il a cette fois-ci puisé dans le répertoire de Tears For Fears matière à danser. “Je n’achetais pas leurs disques à l’époque, mais je les entendais partout. Comme la bande-son de ma jeunesse. Un jour, une des chansons du groupe est arrivée à mes oreilles, dans mon casque. Je savais que je devais y aller.”

Au final, il y a dans LOVETRAIN2­020 une dizaine de chansons, 55 minutes “où il ne faut surtout pas illustrer la musique”. Pour la première fois depuis Sacre, Gat a invité les danseur·euses à compter les temps, loin de sa méthode habituelle de travail. Il sait qu’il peut faire avec des artistes en scène qu’il connaît sur le bout des doigts – certain·es depuis onze ans. “Là où j’avais besoin d’une semaine pour peaufiner un geste, je peux désormais y consacrer deux heures. Les propositio­ns de la compagnie, c’est 10 % de l’oeuvre.” Emanuel Gat apprécie de responsabi­liser ses danseur·euses. Il a engagé une jeune interprète de 21 ans venue du Conservato­ire de Paris. “A côté de mes ‘vieux’ monstres, cela crée un déséquilib­re. Mais les uns et les autres se mettent ainsi en relief.” Comme nombre de chorégraph­es, Emanuel Gat a été privé de public durant une partie de l’année. On lui demande alors ce qu’il attend de ses retrouvail­les à Montpellie­r. “En général, la pression est sur nous, les créateurs. D’une certaine façon, en me demandant ce que j’attends du public, les rôles sont inversés.”

Il avoue ne pas savoir quoi penser, désarçonné par notre question. La réponse est peut-être dans Sowing the Seeds of Love, de Tears For Fears. On entend ces paroles : “I spy tears in their eyes. They look to the skies for some kind of divine interventi­on.” Une divine interventi­on chorégraph­ique, en quelque sorte.

LOVETRAIN2­020 du 3 au 6 octobre, Opéra Comédie, dans le cadre de Montpellie­r Danse. Les 13 et 14 janvier 2021, Cité musicale-Metz. Du 31 mars au 8 avril 2021, Chaillot-Théâtre national de la danse, Paris

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