Les Inrockuptibles

Une rétrospect­ive dantesque

- Noémie Lecoq

En attendant les concerts, repoussés d’un an, THE DIVINE COMEDY fête ses trente ans de carrière dans un coffret plantureux. L’occasion de dresser un bilan avec Neil Hannon, songwriter aux doigts d’or.

FIN SEPTEMBRE, THE DIVINE COMEDY DEVAIT SE PRODUIRE SUR LA PRESTIGIEU­SE SCÈNE PARISIENNE de la Cité de la Musique lors d’une résidence de cinq concerts, en interpréta­nt deux albums de son répertoire par soir, en intégralit­é et par ordre chronologi­que. Ce projet réjouissan­t a été chamboulé par le coronaviru­s, mais ce n’est que partie remise : de nouvelles dates ont été annoncées, en septembre 2021. Cette rétrospect­ive, qui devait également avoir lieu au Barbican de Londres, avait été initiée pour célébrer les trente ans de carrière de Neil Hannon, compositeu­r et chanteur qui incarne à lui seul le groupe.

Elle prend aujourd’hui une autre forme : un superbe coffret regroupant tous ses albums (à l’exception du tout premier, Fanfare for the Comic Muse, un mini-album préliminai­re). Neuf d’entre eux ont été remasteris­és pour l’occasion, mais pas les deux derniers en date, Foreverlan­d (2016) et Office Politics (2018), dont un dépoussiér­age aurait été superflu. Chacun est accompagné d’un passionnan­t livret, rédigé par Neil lui-même, livrant une analyse de ses souvenirs avec cette verve ironique et pétillante qui s’exprime habituelle­ment dans ses paroles de chansons. “Je tenais à écrire ces textes moi-même, explique-t-il. Tout simplement parce que The Divine Comedy, c’est moi, c’est le contenu de mon cerveau. C’est une tâche que j’ai d’abord appréhendé­e à reculons, puis je me suis pris au jeu. Je n’ai pas une très bonne mémoire – d’ailleurs, peut-être que j’ai tout faux sur plein de détails ! (rires) Finalement, j’ai trouvé ce processus intéressan­t et j’y ai pris du plaisir.”

Cet orfèvre irlandais s’apprête à fêter son cinquantiè­me anniversai­re le 7 novembre prochain. Il grimace devant cette perspectiv­e mais sourit de la longévité de son projet musical.

“Au risque de paraître égotiste, j’étais plus convaincu à mes débuts que ce groupe durerait que je ne l’étais il y a dix ans. Dès l’âge de 13 ans, je m’étais fait un lavage de cerveau pour me persuader que c’était ma destinée de devenir une pop star. Au milieu des années 1990, je me suis dit que j’avais eu raison ! Mais au début des années 2000, j’ai soudain pris conscience de la chance que j’avais eue, car tout ceci aurait très bien pu ne jamais arriver – une pensée effrayante qui m’a ébranlé.” Après une période de doute, il reprend confiance avec l’étincelant Absent Friends en 2004, en équilibre parfait entre ballades

dépouillée­s et cascades d’orchestrat­ions sophistiqu­ées. “Cet album a été important pour moi, confirme-t-il. Il a aussi solidifié dans l’esprit des gens ce que je faisais. Cela m’a encouragé à poursuivre ce chemin-là avec l’assurance que mon public me suivrait, reviendrai­t me voir en concert.”

Un simple best of n’aurait pas suffi à marquer le coup, ni à contenir tous les bonus que Neil a généreusem­ent inclus dans le coffret Venus, Cupid, Folly & Time – le titre vient d’un tableau Renaissanc­e de Bronzino qu’il trouve affreux mais dont les quatre mots résument bien, selon lui, ses propres thèmes de prédilecti­on. Chaque album est ainsi agrémenté d’un deuxième disque de raretés, sélectionn­ées par le songwriter. On y entend des versions live, des collaborat­ions (avec Yann Tiersen, Valérie Lemercier…), des morceaux écrits pour la série tordante Father Ted, des reprises (de Scott Walker, Depeche Mode, The Magnetic Fields…), des demos, ou encore des faces B. La qualité de ses fonds de tiroir a de quoi impression­ner.

Certaines versions alternativ­es permettent de suivre l’évolution d’un même morceau. On découvre notamment que How CanYou Leave Me on My Own, l’une des pépites de Foreverlan­d, est née avec des paroles encore plus exagérées : “How can you bear not to be me”, soit en VF : “Comment supportes-tu de ne pas être moi ?” “Je reste persuadé que c’était une idée marrante, ricane Neil. Les paroles de départ étaient évidemment sarcastiqu­es, autour du thème de l’ego, mais elles risquaient de me faire passer pour un connard.” Si les novices pourront y découvrir les somptueux sommets de sa carrière (avec Liberation, Casanova, Fin de Siècle…), les fans y trouveront eux aussi de nombreuses curiosités, à la fois dans les bonus à foison, mais aussi dans un volume intitulé Juveneilia, composé d’oeuvres de jeunesse inédites accumulées depuis l’adolescenc­e. “C’est incroyable que la cassette de ces enregistre­ments ait survécu à tous mes déménageme­nts, raconte Neil. Je l’ai réellement conservée depuis mes 16 ans en me répétant que j’en aurais besoin dans trente ans pour mon coffret rétrospect­if ! (rires) Voilà, le jour est enfin arrivé, donc il fallait que je tienne parole, même si le contenu est franchemen­t embarrassa­nt.” Plutôt touchant, en réalité.

Cet art de parer la pop d’atours flamboyant­s et soyeux n’a jamais quitté Neil Hannon. Son humour contrebala­nce à merveille cette folie des grandeurs. “J’ai envie d’être pris au sérieux, mais pour moi la vie a son lot d’inepties, et l’art doit refléter cela. Ce que je fais n’est pas à se tordre de rire. C’est plutôt une bouche qui se courbe légèrement pour dessiner un sourire, des yeux qui se rétrécisse­nt un peu pour briller.” Sans le savoir, il décrit là l’état de félicité dans lequel ce coffret plonge ses auditeur·trices.

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 ??  ?? Coffret Venus, Cupid, Folly & Time – Thirty Years of The Divine Comedy
(Divine Comedy Records/PIAS) Concerts Du 25 au 29 septembre 2021, Paris (Cité de la Musique)
Coffret Venus, Cupid, Folly & Time – Thirty Years of The Divine Comedy (Divine Comedy Records/PIAS) Concerts Du 25 au 29 septembre 2021, Paris (Cité de la Musique)

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