Les Inrockuptibles

Au-dessous du volcan de John Huston

- Murielle Joudet

L’errance alcoolisée, au Mexique, d’un diplomate britanniqu­e à qui tout échappe. Cette adaptation littéraire de 1984, crépuscule de la filmograph­ie de Huston, a tout du grand récit hollywoodi­en.

C’EST TOUJOURS BEAU, UNE FILMOGRAPH­IE QUI SE POURSUIT COMME AU-DELÀ D’ELLE-MÊME, toujours passionnan­t de voir les films de Cukor, Minnelli ou Wilder à partir des années 1970, alors que les conditions de possibilit­és de leur oeuvre ont disparu, que le monde et le cinéma se sont passé le mot pour se transforme­r. Il y a même ceux qui, passant ce cap, deviennent meilleurs, plus attachants, c’est le cas de John Huston, qui se trouve une nouvelle jeunesse en vieillissa­nt, mêle étrangemen­t régénérati­on et crépuscule à partir des années 1960, avec cet objet fou, fusion d’accents antonionie­ns et de méthode Actors Studio dégénérée, qu’est Les Désaxés. D’une théâtralit­é parfois guindée et lénifiante, l’oeuvre de Huston a toujours porté en elle son propre remède : l’humilité, l’errance, l’échec de ses héros.

Tel un Mankiewicz un peu moins virtuose, ses films sont des manières d’autoportra­its : des hommes qui pensaient maîtriser la narration et la mise en scène, bientôt rattrapés par le constat qu’ils ne sont que les jouets du destin ( Le Trésor de la Sierra Madre, 1948). C’est tout naturellem­ent qu’en 1984 Huston adapte Au-dessous du volcan, le chef-d’oeuvre de Malcolm Lowry : le roman renferme tous ses grands thèmes. En 1938, Geoffrey Firmin, un consul britanniqu­e, erre, le temps d’une journée, dans les rues de Quauhnahua­c, une ville mexicaine qui célèbre la fête des morts. Le consul démissionn­aire traîne sa dépression dans des décors baroques et électrisés : il éructe, se remémore, regrette, hanté par le souvenir d’une femme, rongé par un événement tragique survenu pendant la Première Guerre mondiale.

Une tempête sous un crâne amplifiée par les effets d’un alcoolisme enragé, qui s’intensifie à mesure que la journée avance. Et c’est cette énergie noire que prend en charge le très britanniqu­e Albert Finney : à première vue, on pourrait penser qu’il en fait beaucoup trop, mais le cabotinage est précisémen­t ce qu’il fallait pour porter la langue de Lowry, la déchéance de Firmin : c’est un homme qui en fait des caisses, qui plastronne en tuxedo pour ne pas voir que sa vie lui échappe, qu’il n’est plus dans l’histoire, ni même dans le temps.

Peut-être parce qu’il fut d’abord un classique, on ne rangerait pas forcément Huston dans la liste de grands cinéastes de l’errance. C’est pourtant son thème fétiche, de plus en plus lisible à mesure que son oeuvre vieillit (le merveilleu­x Fat City, 1972, Le Malin, 1979). Au-dessous du volcan, avec ses couleurs fanées, est tel un grand récit hollywoodi­en qui aurait dépassé sa date de péremption et se serait exilé au Mexique. Les décors défilent sans que Firmin ne puisse jamais les habiter ni les modifier – ou alors en courant toujours le risque du grotesque.

Antihéros voué à ne plus pouvoir agir, l’homme se déplace de bouteille en bouteille, condamné à avancer toujours, comme de nombreux personnage­s hustoniens. C’est ce qui a pu faire dire au critique Jacques Lourcelles que, sur ce terrain-là, “Huston bat presque son cadet John Cassavetes”. Pris dans la poisse d’un temps qui ne passe plus, Firmin est un taureau sans torero, un acteur shakespear­ien.

Au-dessous du volcan de John Huston, avec Albert Finney, Jacqueline Bisset, Anthony Andrews (Mex., E.-U., 1984, 1 h 48) Reprise

 ??  ?? Albert Finney
Albert Finney

Newspapers in French

Newspapers from France