Racine à l’heure du Covid
Troublé par le parallèle entre la période du confinement et le temps suspendu d’Iphigénie, STÉPHANE BRAUNSCHWEIG éclaire notre époque des grandeurs révélées par la tragédie.
AUX GRANDS MAUX LES GRANDS MOYENS… Comme il le confie dans le programme de salle, Stéphane Braunschweig n’avait pas prévu de monter Iphigénie. Mais l’argument de la pièce a tant de points communs avec le temps d’arrêt imposé par le confinement qu’il ne pouvait que saisir l’occasion de mettre en perspective la situation vécue au présent avec celle de la tragédie de Racine. “Quand le monde s’est brutalement mis à l’arrêt, une fois passé l’effet de sidération, j’ai repensé à l’armée grecque clouée sur place dans le port d’Aulis parce que les vents sont brutalement tombés. Et quand je sortais dans les rues de Paris désertes, figées dans un silence irréel, c’est une mer d’huile méditerranéenne qui m’apparaissait.”
L’image de cette mer étale jusqu’à l’horizon figure en toile de fond d’une scénographie qui répartit le public sur des chaises blanches de part et d’autre d’un podium immaculé. Digne d’un protocole compassionnel mis en place pour ne jamais oublier que l’épidémie rôde ici comme ailleurs pour perturber nos vies, ce décor à la blancheur clinique est taillé sur mesure pour répondre aux normes de la distanciation. L’arrivée des comédien·nes en costumes de ville renforce le sentiment d’une représentation assumant la cruauté de nous inviter dans un cadre où l’hospitalité renvoie à l’hospitalier.
Comparaison n’est pas raison, et l’on oublie vite l’incurie des débats d’aujourd’hui pour jouir de cette langue des alexandrins qui prend prétexte d’un coup du sort pour se lancer dans une mise à nu digne d’une psychothérapie de groupe. On sait la vraie raison de la crise : pour apaiser la colère des dieux, l’oracle réclame à Agamemnon le sacrifice de sa fille Iphigénie. S’opposer à cet acte contre-nature impose à chacun·e de jouer cartes sur table. C’est cette dimension cathartique d’un intime exposé à seule fin de sortir grandi de l’épreuve que le metteur en scène fait entendre dans ses moindres articulations.
Tout se joue dans la lente progression du texte, qui commence par être chuchoté avant de prendre de l’ampleur au fur et à mesure des émotions qui l’attisent. Avec une troupe usant du principe de l’alternance pour que chaque rôle se teinte, au fil des soirées, des subtiles différences apportées par qui l’incarne, on comprend que ce théâtre se construit d’abord sur l’humain. Comme un supplément d’âme, Stéphane Braunschweig vise, pour le meilleur, à révéler la vérité de celui ou celle qui joue dans les transparences de liens tissés avec son personnage.
Iphigénie de Racine, mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig, avec Claude Duparfait, Suzanne Aubert, Chloé Réjan, Sharif Andoura, Astrid Bayiha, Anne Cantineau… Jusqu’au 14 novembre, Odéon-Théâtre de l’Europe aux Ateliers Berthier, Paris