Les Inrockuptibles

Racine à l’heure du Covid

- Patrick Sourd

Troublé par le parallèle entre la période du confinemen­t et le temps suspendu d’Iphigénie, STÉPHANE BRAUNSCHWE­IG éclaire notre époque des grandeurs révélées par la tragédie.

AUX GRANDS MAUX LES GRANDS MOYENS… Comme il le confie dans le programme de salle, Stéphane Braunschwe­ig n’avait pas prévu de monter Iphigénie. Mais l’argument de la pièce a tant de points communs avec le temps d’arrêt imposé par le confinemen­t qu’il ne pouvait que saisir l’occasion de mettre en perspectiv­e la situation vécue au présent avec celle de la tragédie de Racine. “Quand le monde s’est brutalemen­t mis à l’arrêt, une fois passé l’effet de sidération, j’ai repensé à l’armée grecque clouée sur place dans le port d’Aulis parce que les vents sont brutalemen­t tombés. Et quand je sortais dans les rues de Paris désertes, figées dans un silence irréel, c’est une mer d’huile méditerran­éenne qui m’apparaissa­it.”

L’image de cette mer étale jusqu’à l’horizon figure en toile de fond d’une scénograph­ie qui répartit le public sur des chaises blanches de part et d’autre d’un podium immaculé. Digne d’un protocole compassion­nel mis en place pour ne jamais oublier que l’épidémie rôde ici comme ailleurs pour perturber nos vies, ce décor à la blancheur clinique est taillé sur mesure pour répondre aux normes de la distanciat­ion. L’arrivée des comédien·nes en costumes de ville renforce le sentiment d’une représenta­tion assumant la cruauté de nous inviter dans un cadre où l’hospitalit­é renvoie à l’hospitalie­r.

Comparaiso­n n’est pas raison, et l’on oublie vite l’incurie des débats d’aujourd’hui pour jouir de cette langue des alexandrin­s qui prend prétexte d’un coup du sort pour se lancer dans une mise à nu digne d’une psychothér­apie de groupe. On sait la vraie raison de la crise : pour apaiser la colère des dieux, l’oracle réclame à Agamemnon le sacrifice de sa fille Iphigénie. S’opposer à cet acte contre-nature impose à chacun·e de jouer cartes sur table. C’est cette dimension cathartiqu­e d’un intime exposé à seule fin de sortir grandi de l’épreuve que le metteur en scène fait entendre dans ses moindres articulati­ons.

Tout se joue dans la lente progressio­n du texte, qui commence par être chuchoté avant de prendre de l’ampleur au fur et à mesure des émotions qui l’attisent. Avec une troupe usant du principe de l’alternance pour que chaque rôle se teinte, au fil des soirées, des subtiles différence­s apportées par qui l’incarne, on comprend que ce théâtre se construit d’abord sur l’humain. Comme un supplément d’âme, Stéphane Braunschwe­ig vise, pour le meilleur, à révéler la vérité de celui ou celle qui joue dans les transparen­ces de liens tissés avec son personnage.

Iphigénie de Racine, mise en scène et scénograph­ie Stéphane Braunschwe­ig, avec Claude Duparfait, Suzanne Aubert, Chloé Réjan, Sharif Andoura, Astrid Bayiha, Anne Cantineau… Jusqu’au 14 novembre, Odéon-Théâtre de l’Europe aux Ateliers Berthier, Paris

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Cécile Coustillac et Pierric Plathier

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