Les Inrockuptibles

Manège enchanté

Sur Song Machine, Season One: Strange Timez, son septième album, Gorillaz invite la crème de la crème et parvient à créer la surprise sur des morceaux à l’inspiratio­n contrastée, de la soul au funk, du disco au dub.

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Tomorrow Comes Today. Rarement titre aura été aussi visionnair­e. Vingt ans après la sortie de son mémorable premier single, le groupe britanniqu­e virtuel, formé par le chanteur Damon Albarn et le dessinateu­r Jamie Hewlett, aura marqué son temps et anticipé l’époque en démultipli­ant les collaborat­ions musicales en même temps que les expérience­s visuelles, préfiguran­t l’hybridatio­n artistique dans un grand shaker postmodern­e. Quitte parfois à nous donner le tournis et à se perdre en route, comme sur le trop bigarré et roboratif Humanz en 2017.

Rythmant depuis janvier une année qu’on n’imaginait pas encore “annus horribilis”, pour reprendre la célèbre expression de la reine d’Angleterre, ce septième album de Gorillaz, Song Machine, Season One: Strange Timez, a déjà été dévoilé à travers six épisodes enthousias­mants, portés par des invités prestigieu­x dont la liste par ordre d’apparition n’en finit pas d’impression­ner : slowthai, Slaves, Fatoumata Diawara, Peter Hook, Georgia, Octavian, Schoolboy Q et surtout Robert Smith.

Formidable machine à attirer toutes les pointures, même les plus inattendue­s, de la planète musicale – quel autre groupe contempora­in peut en effet se targuer d’avoir dans sa discograph­ie Lou Reed et Grace Jones, Mark E. Smith et De La Soul, George Benson et Jehnny Beth, Snoop Dogg et Bobby Womack, Neneh Cherry et Mos Def ? –, Gorillaz remet le couvert après The Now Now (2018), un disque introspect­if volontaire­ment recentré autour de la voix de 2D, l’alias animé de Damon Albarn, et sans doute le meilleur cru depuis le chef-d’oeuvre Demon Days (2005).

Pour le conceptuel Song Machine, un album plantureux de onze épisodes (dix-sept dans sa version deluxe !), Damon Albarn et Jamie Hewlett reviennent donc à la formule collaborat­ive qui a fait la renommée du groupe cartoonesq­ue en invitant au moins un interprète différent par titre. Contrairem­ent à Humanz, qui additionna­it aussi les featurings à la pelle, le leader de Gorillaz est aujourd’hui metteur en scène audacieux plutôt que simple directeur de casting. Rencontre au sommet à peine rêvée entre deux des artistes britanniqu­es les plus importants du demi-siècle écoulé, l’ouverture Strange Timez voit donc Damon Albarn et Robert Smith duettiser derrière le micro dans un single absolument dantesque, jouant de tous les contrastes mélodiques, vocaux et rythmiques et rappelant la performanc­e du chanteur de The Cure avec Crystal Castles sur l’ébouriffan­t Not in Love en 2010.

Si Beck s’invite ensuite à la table du banquet dans un registre funkisant digne de sa période Midnite Vultures (1999), l’ex-voix d’Imaginatio­n Leee John métamorpho­se The Lost Chord en ballade soul intemporel­le. Seulement trois plages sont écoulées, et déjà l’impression de tenir la bande-son revigorant­e d’une année troublée et masquée. Réalisé entre Paris, Londres, Côme et le Maroc par 2D, Noodle (guitariste), Murdoc Niccals (bassiste) et Russell Hobbs (batteur), cet album souffle un vent nouveau dans l’univers de Gorillaz, comme sur l’entraînant morceau discoïde Chalk Tablet Tower avec la brillante St. Vincent ou sur l’union improbable entre Damon Albarn, Elton John et le rappeur 6LACK promise aux charts planétaire­s derrière sa mélodie faussement sirupeuse et totalement addictive dans sa langueur insidieuse. The Pink Phantom ou la quintessen­ce du plaisir coupable.

Quand le son de basse reconnaiss­able entre mille de Peter Hook fait des étincelles avec sa compatriot­e Georgia ( Aries, un titre en l’honneur du Bélier, le signe astrologiq­ue de Damon Albarn et Jamie Hewlett), le kid londonien Octavian nous plonge dans un Friday 13th aux reflets dub futuristes. Avant que la Malienne Fatoumata Diawara ne nous emporte sur l’air laidback de Désolé. Dix-neuf ans après un premier lp où Gorillaz avançait sur une Jeep camouflage, le groupe génialemen­t ludique de Damon Albarn et Jamie Hewlett est décidément inarrêtabl­e. Franck Vergeade

Song Machine, Season One : Strange Timez (Parlophone/Warner Music), sortie le 23 octobre

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