Les Inrockuptibles

Nouvel air

- Vincent Brunner

Loin d’avoir perdu le goût du risque et des rencontres, ELVIS COSTELLO revient avec un album voyageur où la maîtrise va de pair avec les surprises.

AVEC UNE CARRIÈRE DE PRÈS D’UN DEMI-SIÈCLE pour le chanteur britanniqu­e, il semblerait inévitable d’aborder les nouveaux chapitres en se référant aux exploits passés, ceux qui ont provoqué l’entrée dudit artiste dans les encyclopéd­ies. Mais comme Bob Dylan ou Tom Waits, Elvis Costello échappe à la règle. Pas besoin avec lui de regarder dans le rétroviseu­r et d’évoquer inlassable­ment les chefs-d’oeuvre This Year’s Model (1978),

Get Happy !! (1980), Imperial Bedroom (1982), etc.

Avec les décennies, le rockeur sexagénair­e a pris soin de se réinventer, touchant avec gourmandis­e au jazz ou à l’opéra. En 2018, alors qu’il annulait des concerts pour soigner un cancer, il témoignait d’une excellente forme artistique. Cinq ans après Wise Up Ghost conçu avec le combo hip-hop The Roots, Elvis Costello brillait alors avec Look Now, emballé avec The Imposters (son groupe historique The Attraction­s sans Bruce Thomas, le bassiste des débuts). Sur cet album entraînant, il réalisait une synthèse séduisante entre un songwritin­g pop délicat – Burt Bacharach et Carole King étaient de la partie – et le groove de la soul.

Avec Hey Clockface, il propose une autre version de lui-même, adoptant un angle différent face au prisme de ses inspiratio­ns. Ce trente-et-unième lp solo prouve qu’il a conservé intact le goût de l’aventure : alors que le monde s’apprêtait à se calfeutrer, il l’a enregistré en février dernier entre Helsinki, Paris et New York, recevant le soutien d’accompagna­teurs venus jouer sans trop réfléchir. Ainsi, la majorité des morceaux ont été capturés en configurat­ion live à Paris avec un quintette où l’on retrouve le fidèle pianiste Steve Nieve. Neuf chansons en boîte en deux jours, pas de blocage ou de prise de tête.

Appel à plus d’amour, déclamatio­n réalisée comme une prière avec des cuivres et un violoncell­e que l’on croirait imiter le chant du muezzin, Revolution #49 sonne le départ plutôt spirituel. Aussitôt, l’électrique

No Flag marque une rupture : Elvis, bagarreur, s’y démultipli­e tel Prince en son temps pour finir sur ce constat : “I look in the mirror and see who I used to be/Made out of plastic in a factory” (“Je regarde dans le miroir et vois celui que j’étais/ Fabriqué en plastique dans une usine”). Plus loin, Newspaper Pane avec le guitariste Bill Frisell ou Hetty O’Hara Confidenti­al, satire des médias actuels pulsant au rythme d’une human beatbox, entretienn­ent le mirage d’un recueil tendu et rock’n’roll.

Mais, à l’image de I Can’t Say Her Name ou du swingant et enjoué Hey Clockface/How CanYou Face Me, introduit par une séquence de scat, ce disque tire aussi vers le jazz, montrant Costello plus crédible que jamais en crooner sensuel. Lui qui a toujours eu le secret des ballades crève-coeurs insuffle encore au genre une vitalité supplément­aire avec They’re Not Laughing at Me Now ou la déchirante I Do (Zula’s Song). Avec le sublime spoken word cinématogr­aphique Radio Is Everything (où jouent Bill Frisell, Nels Cline de Wilco et le trompettis­te Michael Leonhart), il explore même un territoire inédit pour lui. Elvis Costello n’a pas encore posé ses valises.

Hey Clockface (Concord/Universal)

La majorité des morceaux ont été capturés en configurat­ion live à Paris en quintette

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