Les Inrockuptibles

Calamity

de Rémi Chayé Abordées comme un récit d’émancipati­on, les aventures de jeunesse de la légende du Far West séduisent grâce à un imaginaire dense et vivant.

- Théo Ribeton

ON NE SAIT PAS GRAND-CHOSE DE LA VRAIE VIE DE CALAMITY JANE, “légende de l’Ouest” qui n’aura laissé à la postérité pour toute ressource biographiq­ue que celles, peu fiables, qu’ont romancées de son propre vivant les spectacles du Wild West Show (où elle accompagna­it Buffalo Bill) et la littératur­e de gare. Aucun problème à fantasmer donc quelques nouveaux faits d’armes à cette joyeuse affabulatr­ice, qui a pour ainsi dire donné son corps à la fiction. Longtemps cantonnée aux seconds rôles de rustaude à la gâchette légère, tenue à l’écart des têtes d’affiche classiques par son caractère fruste (à l’exception en 1953 de La Blonde du Far-West, où Doris Day en campe une version plus poupée), la voilà aujourd’hui honorée d’un film d’animation dans un sous-genre taillé pour elle : le récit initiatiqu­e d’émancipati­on féminine.

Rémi Chayé, déjà auteur du très apprécié Tout en haut du monde (2015), qui transforma­it une héritière de l’aristocrat­ie tsariste en exploratri­ce du Grand Nord, semble donc se faire une spécialité de ces épopées empowering qui offrent aux petites filles des modèles d’autodéterm­ination se traçant un destin dans des mondes d’hommes. La démarche est évidemment louable ; elle n’est pas non plus exempte de clichés (forcément, une scène où Jane se coupe les cheveux sur un coup de colère), potentiell­ement tout aussi codifiée qu’un

conte de princesse Disney, et l’on craint dans le premier acte (qui chronique la vie d’une caravane de pionniers où la petite Jane découvre les privilèges masculins qui lui sont refusés : lasso, équitation, port du pantalon, maniement des armes...) de voir le film dérouler un programme trop rodé pour parvenir à nous émouvoir.

Mais à partir d’une fugue qui lance réellement l’intrigue, s’ouvre un grand champ de découverte­s et de péripéties où Calamity se montre tout à coup plus instable, vivace et généreux. Dépliant un imaginaire western dense et vivant, couplé à une représenta­tion soignée de la nature (laissant supposer des inspiratio­ns surtout du côté de Miyazaki), le tout enrobé dans une palette raisonnabl­ement fauviste, le film de Chayé fait l’effet d’un copieux buffet d’aventures dont le féminisme n’est pas une donnée morale et abstraite, mais une idée très organique et charnelle, motivée par l’appétit de vivre.

L’émancipati­on de Jane convainc parce qu’elle n’est pas voulue pour elle-même, mais pour l’existence qu’elle va lui permettre de mener – existence trépidante et solitaire, marquée par les épreuves mais surtout par la joie de les traverser, de les raconter plus ou moins honnêtemen­t (on revient à l’affabulati­on), et bien sûr d’être mal élevée.

Calamity de Rémi Chayé (Fr., 2020, 1 h 22)

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