Les Inrockuptibles

Les Equilibris­tes de Perrine Michel

Alors qu’elle suit une unité de soins palliatifs, la cinéaste apprend que sa mère est atteinte d’un cancer. Entre documentai­re et journal intime, un regard poignant sur la fin de vie.

- Ludovic Béot

TEL·LES DES FUNAMBULES EN BLOUSE BLANCHE, il·elles tiennent en équilibre, un pied du côté de la vie, l’autre de la mort. Les Equilibris­tes nous plonge dans le quotidien de l’unité de soins palliatifs d’un hôpital parisien. Contrairem­ent à tous les centres médicaux ordinaires, l’enjeu ici n’est pas de guérir mais d’accompagne­r, de soulager malgré la fatalité d’un diagnostic.

Dans Les Equilibris­tes, la mort est invisible et pourtant, elle est partout. Invisible parce que les patient·es et leur famille sont tenu·es hors champ. Partout, parce qu’elle s’infiltre dans les moindres recoins, s’immisçant même sans prévenir dans la fabricatio­n du documentai­re. Alors qu’elle est en pleine immersion dans l’unité de soins, la réalisatri­ce Perrine Michel apprend que sa mère est atteinte d’un cancer grave. Deux écritures imprévues se rejoignent alors, le regard de la documentar­iste fixant un fragment de réel et les mots de la cinéaste face à la maladie de sa mère. Une troisième écriture bientôt les rejoint, portée par quatre danseur·euses dont les mouvements viennent retranscri­re l’état intérieur des différents personnage­s.

Si les stigmates de la maladie sont absents à l’image, c’est pour mieux se centrer sur le rôle et l’impuissanc­e de l’accompagna­teur·trice de la fin de vie. Celui·celle qui reçoit la colère du·de la patient·e, témoin désarmé de sa propre dégénéresc­ence (à l’image de cette scène terrible où une infirmière relate comment, en voulant faire la toilette d’un malade, elle déclenche la colère de ce dernier qui souhaitera­it en finir au plus vite), mais aussi celui·celle transpercé·e par le dégoût et la révulsion devant un corps mourant (les respiratio­ns assourdiss­antes et saignement­s répétés de la mère de la réalisatri­ce).

Face à cette dureté, le film se montre aussi précieux que revigorant. Car c’est précisémen­t parce que le combat est perdu d’avance que le rôle de l’équipe médicale et de Perrine Michel pour guider sa mère prend tout son sens, qu’il en révèle l’immensité de la charge : maintenir la vie jusqu’au bout. C’est-à-dire, ne pas veiller qu’au bon fonctionne­ment physiologi­que des organes du·de la malade, mais préserver ce qui donne encore du sens, recèle une part de dignité. Lorsque, en réponse à l’absurdité d’une condition, des gestes aussi simples que retourner vivre chez soi pour ses derniers jours, accueillir un chat dans une chambre d’hôpital ou voir une exposition de Picasso viennent redonner un peu de chaleur face à l’abîme, et peut-être dessiner la lueur d’une réconcilia­tion.

Les Equilibris­tes de Perrine Michel (Fr., 2019, 1 h 39)

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