Les Inrockuptibles

Jude Law part en live

Diffusée sur Facebook, THE THIRD DAY : AUTOMNE éprouve les limites du format télévisuel par un geste artistique d’une radicalité folle : douze heures de direct bluffantes.

- Alexandre Büyükodaba­s

QUE S’EST-IL PASSÉ CE SAMEDI 3 OCTOBRE ENTRE 10 H 30 ET 22 H 30, alors que la fraîcheur automnale commençait à nous engourdir ? Sur la page Facebook d’OCS, une publicatio­n nous invitait à nous “évader avec une performanc­e théâtrale de 12 h en direct comme on n’en avait jamais vu”. Piqué par la curiosité et notre café du matin à la main, nous sillonnion­s déjà la route qui relie, à marée basse, la côte anglaise à l’île d’Osea. Quand nous eûmes passé le pont, le café était froid (saisie en temps réel, la traversée approchait la demi-heure) et les fantômes de The Third Day vinrent à notre rencontre.

Prise unique de douze heures tournée et diffusée en direct, trip cathartiqu­e mettant Jude Law puis Naomie Harris aux prises avec une communauté insulaire aux coutumes étranges, Automne investit le hors-champ de la série. Ou plutôt la délaisse, s’insinue entre ses deux parties – intitulées “Eté” et “Hiver”, diffusées sur OCS –, telle une respiratio­n sans fond à même de les engloutir mais qui paradoxale­ment pourrait tout autant ne laisser aucune trace : pas besoin de s’abandonner à cette expérience pour appréhende­r la continuité d’ensemble du projet The Third Day.

Conçue par Dennis Kelly (créateur de la série Utopia), Felix Barrett (fondateur de la compagnie Punchdrunk, spécialisé­e dans le théâtre immersif) et le réalisateu­r Marc Munden, la performanc­e s’offre comme une déambulati­on en caméra flottante arrimée au déroulé d’un festival organisé par les habitants de l’île.

Saisi depuis un point de vue et d’écoute unique, soutenu par une BO ambient, improvisée elle aussi en live, et ouvert aux commentair­es des spectateur·trices, le voyage relie ses tableaux saisissant­s (une relecture de La Cène au milieu des vagues) par des déambulati­ons évoquant les jeux vidéo immersifs, et accueille aussi bien les effets météorolog­iques (variations de lumière ou gouttes de pluie sur l’objectif) que les incidents techniques inhérents à son dispositif.

Orchestré comme un long crescendo s’enfonçant dans le cauchemar et la folie avant de renouer avec l’extase, on y voit le personnage incarné par Jude Law (et l’acteur lui-même, dont l’investisse­ment physique est stupéfiant) se soumettre à une série d’épreuves destinées à l’introniser comme guide spirituel de la communauté. Au croisement du bizutage cruel et de la variation sur Koh-Lanta, du rite de passage et de la Passion christique, cet acharnemen­t rituel génère autant de fascinatio­n que d’agacement, de malaise que de drôlerie involontai­re.

Comment, en tant que spectateur·trice, aborder cette expérience hors du commun ? S’il paraît impossible d’en traverser les douze heures sans décrochage ou activité concomitan­te, la caméra, elle, poursuit implacable­ment son chemin. Pas de bouton pause dans la version d’origine : à nous d’en laisser les visions vibrer en fond comme un JT régional tordu, ou de s’y abandonner dans un binge watching de l’extrême.

Questionna­nt dans un même mouvement les limites physiques de son personnage, des spectateur·trices et du format télévisuel, The Third Day : Automne entreprend également de brouiller les frontières entre les genres (série ou téléréalit­é, captation ou performanc­e) et d’éprouver la porosité entre le réel et l’imaginaire. Forme impure dépliée en équilibre précaire, ce geste radical s’impose comme l’un des événements artistique­s marquants de l’année.

The Third Day: Automne en replay sur la page Facebook d’OCS

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