Les Inrockuptibles

Patrick deWitt

French Exit

- Léonard Billot

(Actes Sud), traduit de l’anglais (Canada) par Emmanuelle et Philippe Aronson, 272 p., 22 €

Le Canadien change de registre et livre une tragi-comédie jouissive qu’il situe dans les rues de Paris. Ah Paris ! Sa tour Eiffel et ses quais de Seine, ses serveurs retors et ses rues pavées, ses croissants au beurre et ses sixièmes étages sans ascenseur.

Paris : fuel à fantasmes pour la grande machinerie créative de nos cousins d’Amérique. Hasard du calendrier, French Exit, le quatrième roman du truculent Canadien Patrick deWitt ( Ablutions, 2010, Les Frères Sisters, 2012, Heurs et Malheurs du sous-majordome Minor, 2017) nous arrive en même temps que Emily in Paris, la nouvelle série guimauve de Darren Star (Sex and the City) produite par Netflix. Avec au coeur des deux oeuvres : la Ville lumière en majesté… mais version Hollywood compatible. On trouve dans l’une comme dans l’autre cet enfilement de clichés carte postale qui font rêver le touriste et traverser l’Atlantique. Vu d’ici, ça en finit par être drôle, presque dépaysant. Mais si dans la série de Star le traitement au premier degré de l’effet Coco Chanel-Moulin Rouge-French Love est d’entrée “ridicule” (d’après le NewYork Times), chez Patrick deWitt, les lieux communs parisiens sont habilement détournés, moqués même, pour tisser la toile de fond d’une tragi-comédie loufoque et grinçante aux ambiances gentiment woody-allénienne­s. Ici, l’auteur met en scène les Price – mère, fils et chat –, riche famille de l’Upper East Side frappée d’indignité qui décide de fuir le scandale en s’exilant à Paris. Lesté des derniers milliers de dollars en cash de leur empire passé, le trio investit un “modeste” trois pièces sur l’île de la Cité. Oisifs, dysfonctio­nnels et attachants, les Price vont se retrouver précipités dans une ronde d’aventures lunaires où ils croiseront la réincarnat­ion du patriarche, une héritière déjantée, une voyante SDF et un détective privé aux semelles trouées. Toute une galerie d’hurluberlu­s sublimés par la science du portrait et le sens du dialogue virtuoses de deWitt. Vaudeville jouissif qui cache derrière l’absurde une noirceur délicate, French Exit se lit dès lors comme une farce grave qui nous muscle les zygomatiqu­es mais réfléchit aussi au poids de la filiation et du superflu dans la quête du bonheur moderne. Très loin de Emily in Paris donc.

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