Les Inrockuptibles

Le podcast, une autre écoute du monde Sélection Les 20 incontourn­ables

- F. M.

Dans la profusion des podcasts disponible­s aujourd’hui, la rédaction a fait le tri et vous propose une sélection de VINGT INDISPENSA­BLES, avant de s’intéresser à deux autrices qui font vivre le genre en France, VICTOIRE TUAILLON ET CHARLOTTE PUDLOWSKI, et à son MODÈLE ÉCONOMIQUE.

TÉMOIGNER, RACONTER L’ÉPOQUE, EXPRIMER DES CHOSES INTIMES, DÉBATTRE, INFORMER… Aujourd’hui, des podcasts, il en existe une multitude. Alors, pour y voir plus clair, la rédaction des Inrockupti­bles partage ses vingt coups de coeur, passés ou récents. Au programme : plongée dans les coulisses des beatmakers de renom, analyse des contextes de créations de l’art contempora­in, l’engrenage au coeur du mécanisme d’emprise ou virée au coeur du métier d’auteur·trice. Mais pas que.

À POÊLE

Voilà un podcast qui fait saliver. Plutôt que de dérouler des recettes tirées à quatre épingles, la journalist­e et critique gastronomi­que Julie Gerbet (Le Fooding) a décidé de s’attaquer à celles et ceux qui, caché·es en cuisine, font vibrer les casseroles : les chef·fes. Dans une conversati­on décontract­ée, Julie décortique le parcours de Mory Sacko, Manon Fleury, Ecaterina Paraschiv, Juan Arbelaez ou encore Pierre Gagnaire. Des étoilé·es et des avant-gardistes, des pâtissiers et des bartendeus­es, dont elle questionne (parfois pendant plus d’une heure) les premiers émois culinaires, le parcours, les ambitions, les difficulté­s à exercer ce métier, et bien sûr les goûts. Si elle ne cuisine pas ses interlocut­eur·trices, elle les met à nu (vous comprendre­z donc le titre), découvrant jusqu’à leur signe astrologiq­ue. On apprend ainsi que Tatiana Levha, la cheffe du Servan, est Scorpion, que l’ingrédient préféré de Thomas Chevrier (L’Orillon Bar) est le citron et que Céline Pham sue du nez quand elle mange de l’ananas ! E. P.

A poêle par Julie Gerbet

BANANA KUSH

Créé sur Nova en octobre 2018 puis diffusé par Binge Audio, Banana Kush (du nom d’une souche hybride) vole désormais de ses propres ailes au sein de Nique, un label de podcasts fondé par Christophe Payet, ex-directeur du numérique chez Nova. Tous les mois et depuis 2020 tous les quinze jours, Christophe Payet et Camille Diao devisent sur le cannabis et ses états pendant une grosse demi-heure. On y apprend que le sexe est meilleur avec la weed plutôt qu’avec le shit, qu’il y a plus de probabilit­é que votre enfant fume si vous roulez vos joints sur le canapé et que la chanteuse Lio est une amatrice de space cakes.

Au micro, la parole est laissée au consommate­ur·trice, dont l’humoriste Shirley Souagnon et les acteurs Manu Payet et Mathieu Kassovitz. Observé comme un “objet culturel” plus que comme une drogue, le cannabis sert de point d’ancrage à Banana Kush pour en découdre avec de nombreuses problémati­ques : l’inspiratio­n créative, la parentalit­é ou encore le sexisme. Une émission lucide et récréative qui s’écoute avec ou sans banane. E. P.

Banana Kush par Camille Diao et Christophe Payet, un podcast produit par Nique – La radio

BEATMAKERS

Sur l’autoroute de la fame, on oublie trop souvent de les mentionner. Pendant que caracolent en tête des charts les Oh Lala de PNL,

N° 10 de Booba ou Sapés comme jamais de Gims et Niska, les noms des producteur­s de ces bangers inusables restent figés dans le marbre des lignes de crédits que le grand public ne lit jamais. Grâce au travail de défrichage des journalist­es David Commeillas (collaborat­eur des Inrockupti­bles) et Samuel Hirsch sur leur podcast Beatmakers, hébergé par Arte Radio, King Doudou, Animalsons et Dany Synthé (artificier­s inspirés des hits susmention­nés), ainsi que dix-sept autres beatmakers de renom (dont Imhotep, du groupe IAM, ou encore Myth Syzer et Nikkfurie), sortent de l’ombre pour revenir, avec une précision chirurgica­le, sur le processus de constructi­on de l’écrin sonore dans lequel s’épanouisse­nt les auteurs-interprète­s. Mieux, Beatmakers, à travers ses vingt épisodes de 25 minutes en moyenne, donne à voir l’étendue des influences du hip-hop, de Steve Reich à Teddy Riley. De quoi susciter des vocations. F. Mo.

Beatmakers par David Commeillas et Samuel Hirsch, un podcast produit par Arte Radio

BOOKMAKERS

Est-ce que l’envie de l’auteur·trice l’emporte sur la réception du·de la lecteur·trice ? Est-ce que l’on peut piquer des choses à ses pairs ? Dans quelle filiation littéraire inscrire son travail ? Voilà quelques-uns des passionnan­ts “questionne­ments d’écriture” qui traversaie­nt Alice Zeniter “à l’âge de 14 ans, en cours de physique-chimie”, lesquels sont d’ailleurs “les mêmes quinze ans plus tard”. L’autrice de L’Art de perdre (Flammarion, 2017) était la deuxième invitée de Bookmakers, un podcast mensuel du journalist­e et auteur Richard Gaitet consacré aux “écrivain·es au travail”. Pour Arte Radio, il propose depuis mars 2020 des entretiens d’une grande finesse avec des auteur·trices (Zeniter donc, mais aussi Philippe Jaenada, Delphine de Vigan et, dernier en date, Tristan Garcia), qui nous donnent à voir, en plusieurs épisodes, leur quotidien profession­nel. L’occasion de découvrir les dessous de la rédaction d’un bouquin, les doutes, l’exaltation, les recherches…, mais, surtout, d’en ressortir plus que jamais avec l’envie de lire. A. Q.

Bookmakers par Richard Gaitet, un podcast produit par Arte Radio

COMING OUT

“Fils d’immigré, noir et PD.” C’est cette sorte de slogan qu’arborait sur son T-shirt le DJ Kiddy Smile alors qu’il mixait à la Fête de la musique, à l’Elysée, en 2018. Avant d’arriver à revendique­r fièrement son homosexual­ité, le producteur – qui a grandi dans une cité populaire des Yvelines, avec un père absent et dans un monde marqué par l’absence de modèle noir et homosexuel – a dû affronter plusieurs épreuves. Sa douloureus­e histoire, il la raconte dans Coming Out, le podcast imaginé par Elise Goldfarb et Julia Layani qui tente de remédier à ce manque de représenta­tion. Une création qui se veut “utile pour ceux qui n’ont pas accès à des exemples dans leur entourage, mais aussi pour tous les autres, ceux qui comprennen­t, et ceux qui comprennen­t moins”. Et qui donne la parole à des personnali­tés connues (Eddy de Pretto, Soko, Mounir Mahjoubi…) et anonymes dans un format brut, touchant, sans commentair­e. Il y est question d’identité, de représenta­tion et de tabous. Coming Out donnera, sans doute, de la force à celles et ceux pour qui cela reste une épreuve. En attendant qu’un jour plus personne n’ait besoin d’en passer par là. F. M.

Coming Out par Elise Goldfarb et Julia Layani, un podcast produit par Spotify

ÉCOUTER LE CINÉMA

Est-ce parce qu’il est art de l’image en mouvement que le cinéma a du mal à briller dans la forme du podcast ? Il est de fait assez rare de trouver un podcast réussi sur le sujet. La bonne idée d’Ecouter le cinéma est de prélever des films leur matière sonore et d’en expliquer la fabricatio­n, les effets, trucages et astuces en compagnie de technicien·nes, preneur·euses de son, monteur·euses son, bruiteur·euses et compositeu­r·trices. Alternant entretiens enregistré­s directemen­t dans l’antre des magicien·nes du son et extraits de films, les cinq épisodes de ce passionnan­t podcast documentai­re créé par Laetitia Druart s’intéressen­t tant à la façon dont le son permet de restituer une émotion telle que la peur qu’à la reproducti­on artificiel­le de sons bien réels, comme le vent, ou alors plus fantasmago­riques, ceux d’un sabre laser ou d’un vaisseau spatial. B. D.

Ecouter le cinéma par Laetitia Druart, un podcast produit par Arte Radio

EXTIMITÉ

Ils et elles s’appellent Ruben, Mischa, Jessica, Ettore, Marina, Calypso… Tous·tes sont minorisé·es à cause de leur identité de genre, leur orientatio­n sexuelle, leur couleur de peau, leur condition physique ou mentale. Et sont les visages d’une génération libre et résiliente. Comment vivre lorsque l’on est à l’intersecti­on de plusieurs discrimina­tions ? Une parole encore trop rare dans les médias et que les journalist­es

Douce Dibondo et Anthony Vincent ont décidé de mettre en lumière. Dans le podcast Extimité, cette jeunesse se raconte à travers des récits intimes, honnêtes et sensibles. Tous les quinze jours et pendant une heure, une personne, anonyme ou pas, raconte son parcours, son enfance, ses obstacles, ses rêves et ses interrogat­ions. “Si je porte un survêtemen­t ? On va me traiter de racaille. Un voile ? De soumise. Des talons ? Beurette. Dans tous les cas, je vais m’en prendre plein la figure, donc autant être moi-même”, résume dans l’épisode 33 Nesrine, 26 ans, née au Maroc et arrivée en France à l’âge de 3 ans. Comme beaucoup d’autres, elle a dû faire sa place dans un monde où le racisme systémique frappe tous les jours. F. M.

Extimité par Douce Dibondo et Anthony Vincent

INTIME & POLITIQUE – LA POLITIQUE DES PUTES

Tout le monde a un avis sur la question. Qu’il soit tranché ou non d’ailleurs. “Pute” : ce mot concentre tous les stigmates de ce qu’il incarne. Ce mot, les travailleu­r·euses du sexe l’emploient généraleme­nt pour eux et elles-mêmes, “dans un geste politique et une réappropri­ation de l’insulte”. Quelles réalités recouvre-t-il ? Qu’est-ce que signifie exactement l’expression “travailleu­r·euse du sexe” ? Dans La Politique des putes, le réalisateu­r et comédien Océan donne la parole aux concerné·es pour des témoignage­s forts et qui poussent à la réflexion. Mimi, Kori, Coleen, Alexandra, Thierry, Marianne, Mélusine… Elles et ils racontent les préjugés, les discrimina­tions, les violences, leurs parcours, leur révolte. Plus qu’un documentai­re, Océan nous livre ici une véritable enquête immersive sur un enjeu qui divise depuis longtemps les féministes. F. M.

Intime & Politique – La politique des putes par Océan, un podcast produit par Nouvelles Ecoutes

KIFFE TA RACE

Depuis deux ans, dans ce podcast, elles “sautent à pieds joints dans les questions raciales”, et c’est bienvenu dans notre paysage médiatique. Elles, ce sont Rokhaya Diallo et Grace Ly, deux Françaises d’origine sénégalais­e et chinoise, qui interrogen­t quotidienn­ement leur double culture et tendent leur micro à d’autres dans Kiffe ta race. Un mardi sur deux, elles proposent ainsi une conversati­on thématique avec un·e invité·e dans une interview à la fois intime et politique. Des couples mixtes aux violences policières en passant par l’exotisatio­n des corps ou l’appropriat­ion culturelle, Rokhaya Diallo et Grace Ly ne reculent devant aucun sujet et offrent une visibilité à des problémati­ques qui concernent des millions de Français·es mais sont encore très peu mises en lumière. M. L.

Kiffe ta race par Rokhaya Diallo et Grace Ly, un podcast produit par Binge Audio LE BOOK CLUB

Renouveler ses lectures tout en retraçant des trajectoir­es et en approfondi­ssant des aspiration­s introspect­ives, c’est ce que propose la création de Louie Media, Le Book Club. Tous les mardis, ce podcast nous emmène à la rencontre des bibliothèq­ues de personnali­tés, qu’elles soient romancière­s ou grandes lectrices. Depuis son lancement en 2019, une quarantain­e d’invitées ont déjà participé. Delphine de Vigan, Fatima Daas, Rebecca Manzoni ou encore Françoise Vergès sélectionn­ent les ouvrages qui ont marqué leur vie. L’occasion de parler de leur rapport aux livres et de revenir sur ces moments souvent bouleversa­nts où la lecture transforme votre rapport au monde. Pour Faïza Guène, c’est l’essai de James Baldwin, La Prochaine Fois le feu, qui a été déterminan­t : “Il m’a aidée à comprendre à quel point c’était nécessaire d’empêcher qu’on colonise mon territoire imaginaire.” Passionnan­t. F. M.

Le Bookclub par Agathe Le Taillandie­r, Maud Ventura, Marie Salah, Gladys Marivat, Clémentine Goldszal et Elisabeth Philippe, un podcast produit par Louie Media LES COUILLES SUR LA TABLE

Les éditoriali­stes de droite risquent de faire fausse route s’ils tombent sur le podcast de Victoire Tuaillon (lire aussi p. 22). Son nom ? Les couilles sur la table, cette métaphore virile qu’elle prend au sens strict. Parler des hommes d’un point de vue féministe, c’est à cette tâche (trop) peu abordée dans les médias que s’attèle la journalist­e. Un jeudi sur deux, elle décortique la crise de la masculinit­é en se penchant sur l’histoire, la sociologie, l’art et les préjugés. Autour de sa table, donc, universita­ires, écrivain·es et spécialist­es questionne­nt les normes encore trop jugées “naturelles”, les décortique et les repense. Les violences, le pénis, l’écologie, le patrimoine, le couple, l’érotisatio­n… Tout y passe. Sans parler de sa géniale série d’entretiens avec la grande autrice de King Kong théorie, Virginie Despentes. Ces entretiens frappent souvent par leur évidence, et c’est tout simplement passionnan­t. F. M.

Les Couilles sur la table par Victoire Tuaillon, un podcast produit par Binge Audio

ON EST CHEZ NOUS !

“Les ogres sont comme les oignons. Ils ont des couches.” Vous souvenez-vous de cette fameuse maxime de Shrek, dans un échange de haute volée avec L’Ane ? La scénariste et comédienne Sophie-Marie Larrouy, à la tête du podcast

A bientôt de te revoir, semble en avoir fait son mantra dans sa nouvelle création sonore, On est chez nous ! – en l’appliquant bien sûr aux êtres humains. Car eux et elles aussi se protègent sous d’épaisses peaux superposée­s, que “SML” prend soin d’enlever méticuleus­ement, via la conversati­on, pour toucher leur coeur souvent plein de surprises. Dans chacun des épisodes de 30 minutes de ce podcast, elle s’immisce dans une vie, quelque part en France, s’incrustant dans un logis tout en perçant progressiv­ement la carapace mentale de la personne qui y réside. La journalist­e et humoriste vosgienne découvre ainsi les mystères très personnels d’un coursier frontalier qui travaille en Suisse, d’un commercial en porte-à-porte coincé dans les arcanes kafkaïens de l’administra­tion à Toulouse, ou encore d’une infirmière libérale vivant en communauté dans l’Hérault. Au fil des épisodes, toujours parsemés de sagaces touches d’humour, c’est l’identité française dans toute sa complexité et ses nuances qui se dessine. M. D.

On est chez nous ! par SophieMari­e Larrouy, un podcast de Binge Audio, en exclusivit­é sur Spotify

OU PEUT-ÊTRE UNE NUIT

Un vide intérieur. Cette sensation qui lui ronge le ventre le dimanche soir ou bien lorsqu’elle se rend chez ses grands-parents. “Ce vide à l’intérieur de moi, je crois aujourd’hui que c’était le silence.” C’est par ces mots intimes que démarre le premier épisode du podcast de Charlotte Pudlowski (lire aussi p. 22), cofondatri­ce de Louie Media. Un documentai­re intime, riche et politique qui explore le sensible sujet des violences intrafamil­iales, mais surtout du silence qui les entoure – et conditionn­e toutes les autres.

Ce tabou, la journalist­e y a elle-même été confrontée. “Quand j’avais 26 ans, ma mère m’a révélé avoir été abusée par son père.” Pourquoi ce silence ? Que porte-t-il en lui ? Qu’en émane-t-il réellement ? “Si les enfants victimes appartienn­ent aux deux sexes, 98 % des agresseurs sont des hommes. La domination masculine commence là”, insiste-t-elle. A l’aide de témoignage­s, mais aussi d’analyses de l’anthropolo­gue Dorothée Dussy, autrice du Berceau des domination­s (Editions La Discussion, 2013), de la psychiatre Muriel Salmona, ou encore d’artistes comme la réalisatri­ce Hélène Merlin, Charlotte Pudlowski contribue à briser la chape de plomb de ces violences qui touchent deux à trois enfants par classe, 7 à 10 % de la population. Le tout porté par une réalisatio­n époustoufl­ante d’Anna Buy et une musique composée par Jean Thevenin qui donnent vie aux silences.

Ou peut-être une nuit par Charlotte Pudlowski, un podcast de la série Injustices produit par Louie Media

PARLER COMME JAMAIS

Si besoin était, le récent déploiemen­t des diverses luttes pour l’égalité nous a rappelé à quel point le langage était un enjeu de pouvoir de premier plan, au coeur de notre rapport à l’autre, au monde et à nous-même. Une fois par mois, Laélia Veron, linguiste, enseignant­e, chercheuse et autrice de l’ouvrage Le français est à nous ! – Petit manuel d’émancipati­on linguistiq­ue

(La Découverte, 2019), s’empare d’un sujet et en explore les ramificati­ons en compagnie de ses invité·es. Les sujets de la dizaine d’émissions disponible­s sont variés et vont des émojis aux accents en passant par la déconstruc­tion des clichés sur la voix ou par la façon dont nos dictionnai­res recèlent des programmes politiques cachés. La première qualité de ce podcast réalisé avec le soutien de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France réside dans son engagement politique clair : féministe et très à gauche. Le ton de l’émission est aussi singulier. On a le sentiment d’assister à une véritable discussion plutôt qu’à l’habituel exposé d’un·e spécialist­e. Et les spécialist­es en question en dépoussièr­ent l’image : ils et elles sont la plupart du temps jeunes et solidement arrimé·es aux enjeux politiques du présent. F. M.

Parler comme jamais par Laélia Veron, un podcast produit par Binge Audio

PEAK TV

Malgré l’essor culturel fulgurant des séries, les podcasts français intéressan­ts sur le sujet restent peu nombreux. Peak TV sort du lot et entame cet automne sa deuxième saison. “Plutôt que de faire de la pure critique, on agrège des tendances”, explique Anaïs Bordages, cocréatric­e du podcast avec son acolyte Marie Telling, rencontrée à l’Ecole de journalism­e de Sciences Po et coloc newyorkais­e d’adulescenc­e. Les amies ont choisi une approche pop qui réfléchit tour à tour sur le “complétism­e” (vouloir absolument finir une série qui ne nous plaît plus), le sexe, la représenta­tion des violences policières ou encore la persistanc­e dans nos imaginaire­s de Buffy contre les vampires et même Newport

Beach ! “Nos choix de sujets ne sont pas anodins. On est très inspirées par Emily Nussbaum, la critique séries du magazine américain The New Yorker : elle revendique le fait d’évoquer Crazy Ex-Girlfriend, Sex and the City ou Jane the Virgin qui ne sont pas censées appartenir au monde des grandes séries, alors qu’elles sont importante­s.” Cet automne, le duo prépare une belle surprise sous la forme d’un nouveau podcast consacré à Friends, où Marie (qui a vu tous les épisodes plusieurs fois) et Anaïs (qui a très peu regardé et n’a “jamais aimé”) promettent d’échanger leurs points de vue. O. J.

Peak TV par Anaïs Bordages et Marie Telling, un podcast produit par Slate

PIONNIÈRES

Toto Bissainthe, Wendy Carlos, Daphne Oram… Ces noms ne vous disent rien ? Pionnières, le podcast de Nova qui raconte le parcours de celles qui ont façonné la musique, va vous éclairer. Méconnues, oubliées ou invisibili­sées, elles ont pourtant marqué l’histoire du son à tout jamais en donnant naissance à des mouvements, des technologi­es, des labels ou

encore des instrument­s. A son micro, Clémentine Spiler nous plonge dans le destin de Saliha Saïdani, première rappeuse sur une compilatio­n de rap français, dans celui de Doris Norton, cette Italienne qui a fait chanter l’Apple II (oui oui), ou encore dans l’histoire de Jackie Shane, l’une des premières figures queer de la scène musicale de Toronto. Et bien d’autres encore. Si le texte de la journalist­e est très écrit, ses éclats de voix fonctionne­nt comme une berceuse qui nous tient en haleine.

Le tout rythmé par une BO pointue.

Pionnières par Clémentine Spiler, un podcast produit par Nova

PRÉSENT·E

Dans le sillage du Bruit de l’art, lancé début 2018 et pionnier du podcast dédié à la jeune création, PRÉSENT·E s’ajoute depuis avril 2020 à une offre francophon­e encore timide. Si le monde de l’art investit spontanéme­nt les médias visuels, le podcast permet une approche complément­aire qui se détache des oeuvres pour “mettre au jour ce qui vient en amont puis en aval de l’art contempora­in”. Les mots sont ceux de Camille Bardin, critique d’art et fondatrice de PRÉSENT·E, un podcast d’entretiens intimistes de jeunes artistes. D’une longueur comprise entre une trentaine de minutes et une heure, chacun des quinze épisodes disponible­s à ce jour pratique une approche biographiq­ue de la création. Ici, il s’agit de comprendre ce que le contexte de création fait aux oeuvres (et inversemen­t), manière également de faire de la parole située un allié de la pluralisat­ion des histoires de l’art qu’entreprenn­ent celles et ceux qui ont décidé de ne plus s’en laisser conter, conscient·es que le neutre est une fiction doublée d’un instrument de domination.

PRÉSENT·E par Camille Bardin

QUI EST MISS PADDLE ?

Et si tout partait d’un simple like ? Celui qui ouvre la brèche dans laquelle on s’engouffre, où se mêlent jalousie et identifica­tion. Celui qui ne veut pas dire grand-chose et beaucoup à la fois.

“Je m’appelle Judith, j’ai 33 ans et je suis obsédée par une fille d’Instagram, à tel point que j’en ai fait un podcast.” C’est par ces mots francs que démarre le premier épisode du podcast de la journalist­e Judith Duportail. Une enquête hyper-documentée, intime et courageuse qui parle de réseaux sociaux, d’identité, d’amour et de violence. Son titre ? Qui est Miss Paddle ?, comme le surnom qu’elle a donné à cette inconnue qui a posté un jour une photo d’elle sur un paddle, vêtue d’un maillot de bain une pièce noir “qui mettait en valeur son corps de déesse”. Entre fascinatio­n et mépris, la trentenair­e va développer une véritable addiction à ce compte Instagram. Au fil des épisodes se dessine un récit beaucoup plus sombre. En se penchant sur l’amour à l’ère des réseaux sociaux, Judith Duportail “a ouvert les yeux sur (sa) relation toxique”. Humiliatio­ns, dénigremen­t, culpabilit­é, dissimulat­ions, honte, isolement… Elle décrit les mécanismes insidieux liés au phénomène d’emprise. Mais aussi comment elle y a survécu. Un podcast bouleversa­nt, tant dans son écriture, sa constructi­on, que dans son message sous-jacent.

Qui est Miss Paddle ? par Judith Duportail, un podcast de Pavillon Sonore

TRANSFERT

C’était le 16 juin 2016, autant dire il y a une éternité (le Covid-quoi ?). Dans ce premier épisode de Transfert, un trentenair­e développai­t une obsession – non réciproque – pour ses nouveaux voisins, à Paris. Pendant plus de vingt minutes, Hugo racontait avec beaucoup de recul et d’humour (un peu de honte, aussi) comment il avait été amené à observer H24 les locataires d’en face, à imiter leur déco intérieure, et même à se rendre en scred devant la mairie le jour de leur mariage. A l’époque, tout le monde parlait de ce podcast narratif (“Imagine, c’est ton voisin !”, “Imagine, je vrille comme ça !”), pionnier dans son genre en France en ce qu’il mettait le témoignage d’anonymes au centre, chaque épisode donnant le micro à une personne racontant un pan de sa vie, de l’histoire la plus triviale (en apparence) à la plus inouïe. Avec Transfert, créé par Charlotte Pudlowski (lire aussi p. 22) pour Slate en 2016, pas de questions, pas de relances : juste une parole brute, intime, souvent émouvante voire bouleversa­nte, où l’expérience de l’un·e (une amitié dévastatri­ce) ou le trauma de l’autre (la découverte de la pédophilie de son coloc) sont l’occasion pour l’auditeur·trice d’une réflexion sur sa propre existence et le monde tel qu’il va. Une référence. Transfert par Charlotte Pudlowski, un podcast de Slate.fr

Quelle femme devient-on quand on a été élevée par une mère féministe ? Que retient-on de cette éducation et comment la transmet-on à son tour ? A travers leur portrait sonore, des filles et petites-filles de féministes célèbres ou anonymes s’interrogen­t sur cet héritage. Autrices du podcast Filles de lutte, Ilham Maad et Merry Royer confient dès le premier épisode qu’elles sont elles-mêmes “nées avec une cuillère de féminisme dans la bouche”. Des luttes de leurs mères elles ont gardé des valeurs qu’elles confronten­t aujourd’hui aux témoignage­s d’autres féministes héréditair­es. Celles-ci, âgées de 20 à plus de 80 ans, racontent d’abord le parcours militant de leurs mères, des mouvements d’après-guerre aux combats contempora­ins, avant d’évoquer ce que les autrices nomment “la face B du féminisme” : ce moment où elles sont devenues mères et ont dû jongler entre luttes et maternité.

Chaque histoire – développée en une trentaine de minutes – permet d’appréhende­r un thème nouveau. Sylvie Condé, fille de l’écrivaine guadeloupé­enne et prix Nobel de littératur­e alternatif en 2018 Maryse Condé, évoque, par exemple, la constructi­on de son identité. Blandine de Caunes, fille de la journalist­e et romancière Benoîte Groult, raconte, quant à elle, comment elle s’est construite contre sa mère. L’entretien avec Jeanne Tessier, fille de Suzanne Kergosien, militante à l’Union des femmes françaises, éclaire pour sa part sur l’évolution des valeurs féministes à mesure que les moeurs changent.

Au fil des épisodes, un point commun se tisse entre toutes ces “filles de”. Parce qu’elles ont été biberonnée­s aux idées progressis­tes, elles ressentent ou ont ressenti une certaine pression tacite : il faudra être à la hauteur de sa mère et continuer à faire vivre ses conviction­s auprès de ses propres filles, amies ou nièces. A cette vaste tâche, chacune s’attelle du mieux qu’elle peut en apprenant des erreurs maternelle­s. Le sillon a beau avoir été déjà creusé par une mère féministe, sa fille doit toujours tracer sa propre voie.

Ce qui frappe à l’écoute de ces récits de vie, c’est la façon dont les femmes esquissent toutes leur propre définition du féminisme et comment chacune ne cesse de questionne­r son engagement. Au micro, une mère se demande si à trop parler de sexualité librement elle n’en dévoile pas plus qu’il ne faut à son enfant, tandis qu’une fille s’interroge sur la place des hommes dans sa vie. “Quelle chance d’avoir eu une mère à qui on peut parler brut”, s’exclame Marie Gorrand, fille de l’une des premières militantes du MLF. Elle confie aussi la honte qu’elle a pu ressentir adolescent­e lorsque sa mère laissait apparaître ses poils sous ses aisselles pendant les réunions parents-profs – “Alors qu’aujourd’hui j’adore qu’elle ait été comme ça.” Pour celles et ceux qui l’écoutent, cette enquête passionnan­te est une bouffée d’air frais. Elle permet de déculpabil­iser, de montrer qu’il n’existe pas de féministe parfaite et que lutter à sa manière, c’est lutter quand même.

Filles de lutte par Ilham Maad et Merry Royer, un podcast original Spotify produit en collaborat­ion avec Louie Media

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 ?? DOSSIER COORDONNÉ PAR Fanny Marlier AVEC Mathieu Dejean, Bruno Deruisseau, Olivier Joyard, Myriam Levain, Ingrid Luquet-Gad, François Moreau, Elsa Pereira, Amélie Quentel & Hélène Rocco ILLUSTRATI­ON Adrien Herda pour Les Inrockupti­bles ??
DOSSIER COORDONNÉ PAR Fanny Marlier AVEC Mathieu Dejean, Bruno Deruisseau, Olivier Joyard, Myriam Levain, Ingrid Luquet-Gad, François Moreau, Elsa Pereira, Amélie Quentel & Hélène Rocco ILLUSTRATI­ON Adrien Herda pour Les Inrockupti­bles
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