Les Inrockuptibles

Dix pour cent, saison 4

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Pour son ultime parade, la série échange son alacrité coutumière contre une noirceur profonde, hantée de part en part par la mise en scène de sa propre fin. Précédée de rumeurs diverses liées à la mise en oeuvre d’une nouvelle team d’écriture (lire p. 16), cette quatrième saison de Dix pour cent n’est pas du tout le ratage qu’on pouvait redouter. La structure interne, les organes et le centre nerveux de Dix pour cent sont toujours là, mais l’originalit­é de cette ultime saison tient à son état de dégénéresc­ence programmée. Excroissan­ces soudaines, plaies béantes et arrièregoû­t mortifère ont remplacé la soyeuse mécanique des trois premiers exercices. Il y a quelque chose de malade dans cette quatrième saison. Mais, loin d’être inintéress­ante, cette douleur sourde qui s’intensifie à mesure qu’approche la conclusion fait de cette saison 4 un opus un peu mutant, intensémen­t réflexif et tout entier voué à penser, commenter, documenter son propre crépuscule. Etrangemen­t, la mise en scène de cette lente descente vers la fin (celle de la série, relayée dans la fiction par le démembreme­nt de l’agence ASK) s’accompagne d’une profusion inédite de guests. Alors que l’essentiel des trois premières saisons s’employait à choyer son acteur·trice invité·e en lui consacrant la totalité d’un épisode, chaque épisode en comporte désormais plusieurs, au minimum deux, parfois plus. Comme si la série devait s’achever par un baroud d’honneur, une cérémonie plénière dont la barque ne serait jamais assez chargée. Certains tandems fonctionne­nt à merveille, comme les entrelacs entre la très courtisée Charlotte Gainsbourg et la mal-aimée Mimi Mathy (leur rencontre furtive sur le red carpet des César donne lieu à un savoureux “Bonsoir Mimi” aux réminiscen­ces proustienn­es – le “bonsoir Paulette” d’Oriane de Guermantes). Ou encore le savoureux coaching d’une Sandrine Kiberlain inconstant­e et versatile par une Muriel Robin médusée. Mais c’est véritablem­ent José Garcia qui nous a le plus séduit·es dans un épisode 3 aux petits airs de films de Wong Kar-wai – passions passées résurgente­s, goût de cendres des histoires non vécues, retour obsédant de la porte close d’une chambre d’hôtel derrière laquelle est tapi, inatteigna­ble, l’amour. La disparitio­n de la petite amie d’Andréa, l’éparpillem­ent de chacun·e vers des carrières solo font planer sur l’ensemble de cette saison un puissant sentiment d’absence, comme une plaie ouverte qui ne veut pas se refermer et qui fait à la fois écho au départ de sa créatrice et à la nécessité de penser la fin. Cet accidentel effet de résonance entre la série et le réel n’est pas le seul. Tournée avant la houleuse cérémonie des César et le début de l’épidémie de Covid, la saison 4 de Dix pour cent en manipule pourtant les signes : une comédienne en colère y quitte les César en pleine cérémonie, tandis que sur scène le César du meilleur réalisateu­r est remis à un homme et, plus tard dans la saison, un mystérieux virus se balade dans l’agence ASK. Outre ces liens fortuits avec l’actualité de 2020, cette saison entretient des rapports bien conscients avec son époque : y est débattue la possibilit­é de faire produire ses oeuvres par Netflix, tandis qu’une jeune comédienne fait l’apologie d’une sociabilit­é de bande qui peut faire penser à la proximité liant les représenta­nt·es du jeune cinéma français. Mais là où cette saison est la plus réussie, c’est – comble de l’ironie quand on connaît les raisons profondes du départ de Fanny Herrero – dans la place que sa narration réserve aux femmes, et plus particuliè­rement au personnage de Noémie. Dans cette ultime saison, les assistant·es d’hier sont devenus les puissant·es d’aujourd’hui. La fin des mondes – celui du cinéma, d’ASK, de Dix pour cent en tant que fiction et en tant que série – s’accompagne de son complet renverseme­nt hiérarchiq­ue. Bruno Deruisseau & Jean-Marc Lalanne

Dix pour cent saison 4 sur France 2 du 21 octobre au 4 novembre et sur france.tv

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Nicolas Maury, Grégory Montel et Camille Cottin

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