Les Inrockuptibles

Entre le robotique et le charnel

Drame de la haute bourgeoisi­e signé par le créateur de Big Little Lies et Ally McBeal, THE UNDOING confirme, s’il en était encore besoin, le magnétisme insensé de Nicole Kidman.

- Olivier Joyard

REPOUSSÉE DE PLUSIEURS MOIS PAR HBO POUR CAUSE DE COVID-19,

The Undoing est finalement à sa place en tant que série d’automne. Les tons mordorés et la mélancolie dangereuse qui la traversent auraient juré durant l’été déconfiné et vaguement insouciant. Nous n’aurions sans doute pas regardé de la même manière la dévastatio­n vécue par Nicole Kidman et Hugh Grant dans les rues de New York, le glissement progressif de leur vie vers le chaos. La météo influe aussi sur les spectateur·trices dans des proportion­s souvent étranges, comme si le nombre d’heures de soleil par jour arrimait la fiction à des imaginaire­s changeants.

Cette minisérie en six épisodes (nous avons pu en visionner cinq au moment d’écrire ces lignes) est adaptée du livre de Jean Hanff Korelitz, Les Premières Impression­s, sorti aux Etats-Unis en 2014, autour d’une thérapeute de couple mère d’un préado de 12 ans dont le mari aimant travaille comme oncologue pédiatriqu­e. Beaucoup d’argent, un grand appartemen­t, des journées remplies. Alors qu’une jeune femme troublante meurt dans le cercle social huppé auquel appartient Grace après s’être rapprochée d’elle, plusieurs événements dérèglent la vie ordonnée de la famille, à commencer par la disparitio­n du mari…

Le canevas est bien celui de l’effondreme­nt, de la fin de vies réglées, trop réglées, pour en inventer d’autres si c’est encore possible. Le créateur et

unique scénariste de The Undoing,

David E. Kelley, s’est affirmé en spécialist­e du genre depuis longtemps, que ce soit en montrant les glissement­s permanents d’une femme vers la fantaisie parfois douloureus­e ( Ally McBeal, l’un des hits de sa première vie dans les années 1990) ou bien le bordel provoqué par la violence masculine dans une communauté richissime de Californie (Big Little Lies). On retrouve ici sa capacité à nimber de cruauté les situations sociales les plus diverses, la minisérie fonctionna­nt d’abord comme une féroce exploratio­n des limites de la vie dans la haute bourgeoisi­e.

On peut regretter qu’elle se montre trop consciente de ses effets, démonstrat­ive dans son désir de saisir les moments de dérèglemen­ts qui saccagent les un·es et les autres. On peut avoir le sentiment d’emprunter une autoroute fictionnel­le relativeme­nt prévisible, que la réalisatio­n confiée à Susanne Bier appuie encore plus, avec un mélange d’élégance et de stylisatio­n un peu surjoués – trop d’effets de flou tuent le flou. Mais quelque chose tremble malgré tout. Une sensibilit­é affleure. Et The Undoing décolle souvent, à la fois dans son écriture et sa mise en scène, parce qu’elle doit se mettre

Le canevas est bien celui de l’effondreme­nt, de la fin de vies réglées, trop réglées

à la hauteur de son mythe central, Nicole Kidman, actrice géniale qui traverse le cinéma et désormais les séries en modelant les récits à son gré depuis presque trente ans.

Au fil de rôles à la fois divers et reconnaiss­ables, l’Australien­ne a inventé une figure de l’indépendan­ce et de l’isolement, une femme aussi magnétique que recluse en elle-même, inaccessib­le aux actions extérieure­s et pourtant ultra-réfléchiss­ante du monde tel qu’il va.

Dans le spectre des images contempora­ines, il y a rarement eu de visage plus intéressan­t à filmer que le sien, y compris depuis que la chirurgie esthétique en définit les contours. Ici, quelque chose nous garde captif·ves à cause de cette envie de connaître non pas forcément quel événement va survenir dans la vie de son personnage – même si la fin de l’épisode 5 réserve un cliffhange­r d’école –, mais d’abord quel sera son prochain mouvement, sa prochaine attitude. Balançant entre le robotique et le charnel (c’était merveilleu­x dans Eyes Wide Shut), Nicole Kidman forme une bulle de fiction à elle toute seule.

De ce point de vue, The Undoing peut être perçue comme le récit d’un évidement. Ou comment, en recevant des coups réguliers sous la forme de grandes déceptions, Grace/Nicole garde les yeux ouverts et avance toujours un peu plus seule dans le monde. Cette solitude résonne. C’est comme si, à travers elle, l’actrice se révélait, tandis que le personnage cachait encore ses véritables sentiments.

The Undoing A partir du 26 octobre sur OCS

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