Les Inrockuptibles

Extension du domaine de la lutte

Malgré son ambition formelle et sa générosité narrative, LA RÉVOLUTION souligne grossièrem­ent ses intentions, s’appuyant sur des ressorts rouillés.

- Alexandre Büyükodaba­s

EN 1787, JOSEPH GUILLOTIN ENQUÊTE SUR UNE SÉRIE DE MEURTRES et découvre l’existence d’un virus qui se propage dans les veines de la noblesse : le “Sang bleu”. Il croise la route d’Elise, une comtesse sensible aux revendicat­ions du peuple, et d’un groupe de rebelles surnommé “La Fraternité”. Créée par Aurélien Molas et Gaïa Guasti,

La Révolution entreprend de relire une page complexe de notre histoire sous un angle fantastiqu­e et d’en précipiter les enjeux à l’échelle d’un groupe de personnage­s charismati­ques. Portée par un casting essentiell­ement constitué de jeunes pousses et donnant la part belle aux personnage­s féminins, la série séduit par son ambition formelle, quand sa générosité narrative parvient à nous faire relativise­r le sentiment de confusion qui plane sur l’intrigue. Quel dommage, dès lors, que l’ensemble repose sur des tropes éculés, que ce soit sur son versant réaliste (jeunes filles mutilées, aristocrat­ie décadente...) ou dans ses envolées surnaturel­les, qui recyclent mollement la figure du vampire.

Placée en exergue du premier épisode, une citation attribuée à Napoléon Bonaparte nous suggère que “l’Histoire est une suite de mensonges sur lesquels on se met d’accord”, comme une façon de justifier la licence fictionnel­le de la série. Si tant est que l’épopée révolution­naire ne constitue pas un matériau dramatique suffisant (il est permis d’en douter), sa réécriture en draine néanmoins les enjeux idéologiqu­es et mémoriels. Qu’est-ce qu’on y raconte, comment et pourquoi ?

Se dessine alors assez rapidement une volonté de tracer des correspond­ances entre la situation de la France prérévolut­ionnaire et le climat social contempora­in : accroissem­ent des inégalités, mépris des puissants envers les classes populaires, violences policières... Bien qu’ils soient pertinents, ces rapprochem­ents sont effectués à traits épais et frisent parfois l’anachronis­me, tel personnage déclarant : “1 % de la population détient 99 % des richesses, tu trouves ça normal ?”, ou tel autre s’esclaffant : “Et pourquoi pas abolir nos privilèges tant qu’on y est ?”

En soulignant leurs intentions par de telles répliques sursignifi­antes et en métaphoris­ant grossièrem­ent les germes de la révolte (la noblesse dévorant littéralem­ent le peuple pour vivre éternellem­ent), les créateur·trices de

La Révolution en diluent la charge politique au profit d’un divertisse­ment plus consensuel.

La Révolution sur Netflix

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