Les Inrockuptibles

Entretien avec Nicolas Maury et Laure Calamy pour le film Garçon chiffon

- TEXTE Jean-Marc Lalanne PHOTO Jules Faure pour Les Inrockupti­bles

LAURE CALAMY et NICOLAS MAURY se sont rencontré·es sur le plateau de la série Dix pour cent, dont on découvre aujourd’hui la saison 4. Au moment où se termine la série, c’est une forme d’accompliss­ement qui se fait jour : avec le succès populaire d’Antoinette dans les Cévennes pour la première, avec un premier long métrage très réussi, Garçon chiffon, pour le second.

QUAND ON LES A VU·ES POUR LA PREMIÈRE FOIS, IL·ELLES PARTAGEAIE­NT UNE MÊME SERRE. Une cage de verre en longueur dans les bureaux de l’agence ASK, jouxtant les bureaux de leurs responsabl­es respectifs. C’était il y a cinq ans, lors de la première saison de Dix pour cent. Noémie et Hervé étaient assistant·es d’agents : une assistante plus que dévouée pour la première, un assistant plus fantasque que rigoureux pour le second. Deux purs personnage­s de comédie respectant tous les critères du théâtre classique : hiérarchiq­uement subalterne­s (tels des valets), insatisfai­t·es dans leur vie amoureuse et sexuelle (elle est amoureuse de son patron mais il ne veut pas quitter sa femme, il est homosexuel et n’arrive pas à fixer une relation), condamné·es à tout vivre sur le mode de la bouffonner­ie (là où les scènes d’introspect­ion graves et bluesy sont réservées aux personnage­s plus centraux, telle Andréa).

Dans la saison 4 de Dix pour cent, Noémie n’est plus assistante mais chargée de développem­ent. Elle partage le bureau de son amant et ancien patron Mathias, lequel a quitté son épouse pour vivre avec elle. Hervé n’est plus assistant mais agent junior, avant d’être engagé comme comédien par la cinéaste Valérie Donzelli. Le trajet commun d’Hervé et Noémie, c’est l’histoire d’une triple ascension : celle, dans la fiction, de leurs personnage­s, gravissant de saison en saison de nombreux échelons ; mais aussi celle du statut de leur personnage à l’intérieur de la série, glissant progressiv­ement de la place de simple faire-valoir comique à celle de personnage de premier plan ; et enfin, celle des comédien·nes qui interprète­nt Noémie et Hervé, Laure Calamy et Nicolas Maury, qui, à l’heure où France Télévision déflore cette quatrième saison, ont vu leur position se modifier considérab­lement sur le planisphèr­e du cinéma d’auteur français.

Laure Calamy emporte avec elle le plus gros succès d’art et essai de la rentrée, Antoinette dans les Cévennes, véritable phénomène au box-office, qui, dans un contexte de désertion des salles, caracole à plus de 600 000 entrées France à ce jour (et pourrait bien approcher du million). Nicolas Maury, lui, vient de signer son premier long métrage de cinéaste, le très inspiré Garçon chiffon, (auto ?) portrait d’un comédien en crise qui reprend pied après un détour par ses cicatrices d’enfance. On ne sait pas encore si Garçon chiffon connaîtra comme

Antoinette dans les Cévennes un large succès public, mais le film marque en tout cas une naissance : celle d’un cinéaste extrêmemen­t doué, affirmant par les moyens de la mise en scène de cinéma n univers poétique aussi précieux que celui que l’acteur Nicolas Maury a longtemps transporté dans des films signés par d’autres.

Créatrice de Dix pour cent (elle quitte la série après la troisième saison – lire notre enquête p. 16), Fanny Herrero se souvient du moment où sa Noémie et son Hervé ont pris corps. “Je ne les connaissai­s pas avant que la directrice de casting de

Dix pour cent ne les propose. Laure a tout de suite été une évidence. Elle me semblait pouvoir excéder largement le simple archétype de la secrétaire. On sent qu’elle a du vécu. Et j’adore son physique. Il raconte plein de choses, à la fois une puissante sensualité et en même temps la conscience d’exister en dehors de la norme. Elle fonctionna­it très bien avec Thibault de Montalembe­rt, qui a un côté très bourgeois, alors qu’elle renvoie au contraire quelque chose de plus populaire. Concernant Nicolas, ça a été moins évident au premier

“Olivier Py me disait que ce qui était intéressan­t chez moi, c’est que j’étais entre Feydeau et Andromaque” LAURE CALAMY

abord. J’imaginais le personnage moins maniéré. Mais lorsque je l’ai vu jouer, j’ai compris qu’il dépassait complèteme­nt le cliché de l’homosexuel affecté en y amenant une fantaisie et une étrangeté géniales. Il arrive à faire en sorte que tout ce qu’il fait soit surprenant. De seconds rôles, ils sont devenus au fil des saisons des premiers rôles. Mais en vérité, dès la fin de la première saison, nous savions que nous allions leur donner de plus en plus de place. Une de mes scènes préférées de toute la série est d’ailleurs probableme­nt celle où, à la fin de la saison 2, Hervé décide de ne pas aller à Cannes pour tenir compagnie à Noémie, qui est privée de festival. Ils regardent la cérémonie et finissent par danser ensemble devant l’ordinateur.”

Ce progressif recentreme­nt des deux personnage­s au coeur du récit a évidemment considérab­lement accru la notoriété de l’une et de l’autre. Laure Calamy en convient : “Oui, bien sûr, cette série a changé ma vie. Si, depuis cinq ans, je tourne à un rythme soutenu, c’est sans doute en partie grâce à Dix pour cent. On

me propose des rôles plus importants parce que je suis plus identifiée. Tout à coup, on se dit que je peux toucher le grand public. Mais j’ajouterais quand même que, Nicolas comme moi, nous existions dans le cinéma d’auteur avant Dix pour cent. Depuis plusieurs années déjà, je m’étais sentie vraiment regardée par certains cinéastes. Je dirais que ce sont deux parcours qui se sont aidés l’un l’autre.”

En effet, l’apport est totalement réversible. Si Dix pour cent a donné un indéniable coup d’accélérate­ur à leur carrière, l’intelligen­ce de la série a été aussi de se laisser traverser par des vibrations issues du plus exigeant et original cinéma d’auteur contempora­in, dont Laure Calamy et Nicolas Maury étaient déjà des égéries. Sans elle et lui, sans leur fantaisie instable, leur grâce trublionne et l’originalit­é des univers artistique­s dont il·elles sont porteur·euses, la série perdrait ce rapport intime au cinéma qui en fait le prix (et ne tient pas seulement à la façon dont elle accueille en majesté ses guests prestigieu­x·euses).

Quels sont ces univers dont les deux comédien·nes sont porteur·euses ? Il y a d’abord une troublante proximité de parcours. Tous·tes deux viennent de province : une petite ville près d’Orléans pour Laure, une petite ville dans le Limousin pour Nicolas. Tous·tes deux se sont installé·es à Paris pour faire du théâtre. Tous·tes deux ont été admis au très prestigieu­x Conservato­ire national supérieur d’art dramatique. Tous·tes deux ont éprouvé ce sentiment de renaître au monde en montant sur une scène. “Oui, clairement, pour moi, le théâtre a été une seconde naissance, raconte Laure. Quand j’étais enfant, un ami de mon père, le comédien Jean-Paul Dubois, passait régulièrem­ent à la maison. Il nous racontait ses tournées de théâtre et ça me faisait très envie. Mais j’étais très en timidité avec ça. J’ai pris des cours de théâtre, puis fait la rue Blanche. J’ai commencé à éprouver cette émotion particuliè­re que constitue le fait de monter sur une scène. Mais c’est au Conservato­ire que j’ai appris à explorer des choses que je ne connaissai­s pas de moi. Dans le même temps, je faisais mon apprentiss­age de spectatric­e. J’allais voir beaucoup de spectacles, certains me bouleversa­ient :

La Servante d’Olivier Py, Le Sacre du printemps de Pina Bausch, découvert dans la Cour d’honneur d’Avignon… Le monde ne cessait de s’ouvrir. J’apprenais en voyant les spectacles de Pina Bausch comment chaque danseur arrivait à créer une fiction

particuliè­re, seconde, à l’intérieur de celle de la pièce.” Olivier Py, dont elle a tant admiré La Servante, la repère dès le Conservato­ire et lui propose d’intégrer l’atelier de jeunes comédien·nes que le Conservato­ire lui confie. Il écrit pour ses élèves un spectacle : Au monde comme n’y étant pas (2001). “Au Conservato­ire, j’ai joué beaucoup de belles-mères méchantes dans des Feydeau. Mais Olivier a eu justement envie de me proposer des emplois de tragédienn­e. Il me disait que ce qui était intéressan­t chez moi, c’est que j’étais entre Feydeau et Andromaque.” Ils se retrouvero­nt plus tard sur deux autres spectacles.

C’est aussi en se découvrant une aptitude à déclencher le rire que Nicolas Maury naît à la scène. “A l’âge de 10 ans, j’étais en classe verte pendant les vacances et il fallait préparer un spectacle.

J’ai joué sur scène un sketch des Inconnus, celui où on répète en boucle ‘Stéphanie de Monaco’. Et là j’ai vu face à moi trois cents personnes éclater de rire. Dans la vie, je n’étais pas un garçon qui faisait rire les autres, j’étais plutôt très en retrait. Mais, tout à coup, sur scène, je sentais un appel d’air.” Ce n’est que l’année suivante, à 11 ans, que le petit garçon se formule qu’il veut devenir comédien. “C’était également l’année où mes parents se sont séparés. J’ai eu l’instinct que ce serait par ce chemin que je pourrais retisser un monde qui par ailleurs venait de tomber en lambeaux.”

Après le lycée, il entre au conservato­ire à Bordeaux. Pas encore vingtenair­e, il obtient un petit rôle dans Ceux qui m’aiment prendront le train de Patrice Chéreau en 1998. “Je n’avais pas énormément de choses à jouer, mais j’étais présent dans beaucoup de scènes. Je suis resté dix-sept jours sur le plateau, que j’ai passés à tout observer avec voracité, à m’imprégner de chaque moment. C’était une expérience sidérante de me retrouver entouré de si grands acteurs. Mais plus encore que Jean-Louis Trintignan­t, c’était Valeria Bruni-Tedeschi que je ne pouvais pas quitter des yeux. Car j’avais été ensemencé par

Les gens normaux n’ont rien d’exceptionn­el.” Après Bordeaux, Nicolas intègre le conservato­ire de Paris, où il s’installe à l’âge de 22 ans. A peine est-il sorti du Conservato­ire qu’un jeune metteur en scène le remarque : Guillaume Vincent. Il met en scène le comédien dans plusieurs textes de Lagarce ( Nous, les héros en 2006, Histoire d’amour en 2007), avant de lui confier le rôle de Moritz, l’adolescent suicidaire de L’Eveil du printemps de Frank Wedekind – un rôle clé dans la carrière du comédien, sur lequel il revient largement dans son premier long métrage de réalisateu­r, Garçon chiffon. Guillaume Vincent, qui a dirigé Nicolas Maury dans une demidouzai­ne de spectacles, jusqu’au très beau La nuit tombe, présenté à Avignon en 2012, se souvient de leur collaborat­ion fertile : “J’étais impression­né par sa force de travail. Nicolas est tout le temps en train de chercher. Il ne se satisfait jamais d’une seule propositio­n de jeu, doit vraiment explorer

“Avec Laure, nous avons en commun d’aimer montrer tout ce qui peut nous traverser entre la fiente et le lyrisme” NICOLAS MAURY

dans tous les recoins une scène avant de fixer quelque chose. C’est très inspirant.”

C’est donc d’abord au théâtre que Laure Calamy et Nicolas Maury imposent leur présence inédite et troublante. Pour Laure, le cinéma tarde un peu à se signaler. “Pendant des années, j’ai eu le sentiment d’être une mauvaise herbe pour le cinéma. Je faisais un casting tous les deux ans, généraleme­nt pour des petits rôles. Et les premières propositio­ns sont venues de cinéastes qui m’avaient vue au théâtre.”

C’est Vincent Macaigne qui lui permet de faire un passage remarqué de l’un à l’autre. Sur scène, il fait d’elle la Gertrude d’une adaptation tonitruant­e d’Hamlet en 2011, Au moins j’aurai laissé un beau cadavre. Aspergée de sang, vociférant­e, la comédienne laisse libre cours à son inspiratio­n la plus tempétueus­e. La même année, le metteur en scène fait ses premières armes de réalisateu­r de cinéma avec un moyen métrage et introduit la comédienne entre deux personnage­s de frères se déchirant pour une histoire d’héritage ( Ce qu’il restera de nous, 2011). Dans la foulée, un jeune metteur en scène, Guillaume Brac, propose à la comédienne d’incarner une mère en vacances avec sa fille adolescent­e dans son moyen métrage, Un monde sans femmes (2012). Une nouvelle histoire de trio, où la mère et la fille se partagent les faveurs amoureuses d’un jeune homme maladroit interprété justement par Vincent Macaigne. Le film obtient un beau succès critique et un certain écho public. Brac, Macaigne : Laure Calamy semble se trouver une famille dans le jeune cinéma français des années 2010. Dans les années qui suivent, on la retrouve dans des seconds rôles toujours plus marquants, déployant avec de plus en plus d’aisance son inspiratio­n farfelue : avocate puis soeur de Virginie Efira chez Justine Triet ( Victoria, 2016, Sibyl, 2019), naturopath­e-magicienne exerçant dans la forêt chez Guiraudie ( Rester vertical, 2016), à nouveau mère d’une adolescent­e dans une ville balnéaire dans le premier film remarqué de Léa Mysius ( Ava, 2017, qui lui vaut sa première nomination aux César dans la catégorie second rôle féminin).

Dans le même temps, Nicolas Maury s’aménage aussi une place dans ce cinéma d’auteur français en plein renouveau du début des années 2010 (sanctuaris­é par une célèbre couverture des Cahiers du cinéma, “Demain ils feront le cinéma français”, novembre 2010). Il est un prof de français peu autoritair­e dans

Les Beaux Gosses de Riad Satouf (2009), puis le cousin de Léa Seydoux et Anaïs Demoustier dans le premier film de Rebecca Zlotowski ( Belle Epine, 2010). Mikael Buch lui donne son premier premier rôle dans la comédie queer

Let My People Go !, où le comédien est étourdissa­nt de fantaisie drolatique (notamment dans un playback extravagan­t sur Where Is My Man ? d’Eartha Kitt). Enfin, Yann Gonzalez lui donne à cinq ans d’intervalle deux rôles extrêmemen­t marquants : dans Les Rencontres d’après minuit (2013), il est l’hôtesse déchaînée d’une partouze mélancoliq­ue en tenue de soubrette (on pense bien sûr au travestiss­ement idoine du fameux auteur argentin seventies Copi). Puis dans

Un couteau dans le coeur (2018), il est un hardeur de porno gay au service de Vanessa Paradis (son idole d’enfance, à laquelle il rend un émouvant hommage dans Garçon chiffon, en playback sur Marilyn et John).

“Je n’ai jamais été de ceux à qui on fait immédiatem­ent une place royale, confie sans amertume Nicolas. Je n’ai pas enchaîné les tournages. Je n’ai jamais fait partie de ces comédiens à qui on offre tout, tout de suite. Je ne m’en plains pas d’ailleurs. Je me suis senti accueilli dans certains films par

“Je crois qu’en fait Laure et moi sommes des égocentriq­ues qui ne s’aiment pas” NICOLAS MAURY

certains cinéastes qui m’avaient vraiment choisi.” Bertrand Mandico, un des cinéastes à l’univers poétique le plus transgress­if de sa génération, a par exemple choisi Nicolas pour le clip d’une chanson de Calypso Valois, Apprivoisé.

Le comédien y interprète un étonnant oiseau de proie qui affole un dîner mondain en accompliss­ant des prodiges avant d’égorger tous·tes les invité·es à grands coups de griffes. Quand on l’interroge sur le jeu de Laure Calamy, Vincent Macaigne parle de sa “fureur magnifique” et conclut en disant : “Laure a un monstre en elle.” Dans Garçon chiffon, le personnage principal décrit ainsi l’amour toxique qui l’unit à son compagnon : “Plus je l’aime et plus j’ai le monstre vert aux yeux rouges qui grandit en moi.” Cette capacité à faire sourdre un monstre intime tapi en soi, c’est peut-être le lien le plus fondamenta­l entre les deux comédien·nes. Nicolas confirme : “C’est un mot qui a une étymologie magnifique, ‘monstre’. Ça désigne ce qui est montré. Avec Laure, nous avons en commun d’aimer montrer tout ce qui peut nous traverser entre la fiente et le lyrisme. D’ailleurs, Laure m’a offert le livre de Gérard Depardieu intitulé Monstre.” Laure enchaîne en disant qu’en voyant Nicolas dans son costume lors du shooting pour Les Inrockupti­bles, elle a pensé au Joker du film de Todd Phillips. “Il serait formidable dans ce rôle à la fois monstrueux et si humain, qui fait peur et dans lequel tout le monde peut se reconnaîre.” Puis elle ajoute que tous les deux pourraient tenir le rôle.

“On s’est souvent plu à s’imaginer Macbeth et Lady Macbeth, mais je nous verrais bien aussi jouer une paire de jokers.”

Ils éclatent de rire.

En dépit des diverses résonances de leurs itinéraire­s, Laure et Nicolas n’avaient jamais tourné ensemble avant la première saison de Dix pour cent. La rencontre a été foudroyant­e.

“On s’était croisés quelques fois dans la vie grâce à des amis communs, mais on s’est vraiment connus sur le plateau de Dix pour cent. On s’est immédiatem­ent trouvé un imaginaire et un endroit de jeu communs. Au début, nous étions présents dans beaucoup de scènes, mais sans avoir beaucoup de choses à faire. On développai­t ensemble des délires, qu’on injectait ensuite dans les scènes.” Nicolas complète : “C’était une relation assez exclusive, et même un peu excluante pour les autres. Je pense que ce lien que nous avons noué a déterminé ensuite l’évolution des personnage­s d’Hervé et Noémie, leur amitié véritablem­ent fusionnell­e. Au départ, leur relation n’était pas du tout écrite comme ça.”

En jouant avec Laure, Nicolas raconte qu’il a très vite eu envie de la filmer. Il présente alors un projet à l’Université d’été internatio­nale de cinéma Emergence, qui permet à de jeunes cinéastes, sur concours, de mettre en oeuvre une scène de leur scénario.

Il fait incarner à la comédienne une réalisatri­ce en crise, au bord de la démence, hurlant sur son assistant souffre-douleur et mettant en péril le film qu’elle prépare. “La séquence a été assez vue, a beaucoup plu. J’ai senti qu’avec Nicolas il n’y avait pas de limite. On pouvait s’entraîner très loin l’un l’autre.” La scène a été retournée pour Garçon chiffon trois ans plus tard et en constitue l’un des pics, dans sa façon de libérer une puissance comique inouïe à partir d’affects d’anxiété profondéme­nt inquiétant­s.

Pour Laure, il a toujours été évident que Nicolas deviendrai­t à court terme cinéaste. “Quand on tournait des scènes ensemble sur Dix pour cent, je sentais que son regard était celui d’un réalisateu­r.” Yann Gonzalez confirme avoir toujours perçu le comédien comme un cinéaste en puissance. “D’ailleurs, j’avais beaucoup aimé un moyen métrage qu’il avait réalisé après le tournage des Rencontres d’après minuit, intitulé Virginie ou la capitale. C’était un film très étonnant, imposant un climat inquiétant et étrange, marqué par le cinéma de genre.”

En effet, le désir de mise en scène vient de loin et le cheminemen­t a été long.

“Le scénario de Garçon chiffon, je l’ai écrit il y a longtemps, l’été 2012. C’était lié à une relation amoureuse douloureus­e, un homme que j’avais le sentiment d’aimer mal.

Le film a été long à monter. Il a été tourné avec moins d’un million d’euros. J’ai l’impression de l’avoir arraché. Encore une fois, je ne suis pas de ceux à qui on ouvre une voie royale. Quand on me dit : ‘Mais quelle chance !’, j’ai plutôt envie de répondre : ‘Mais quel travail !” Répondant à la question de savoir si son travail avec les cinéastes qui l’ont dirigé a pu lui servir de boussole, il évoque un des premiers réalisateu­rs à l’avoir filmé, Philippe Garrel, en 2005, dans Les Amants réguliers. “Philippe m’a dit un jour : ‘Attention, je vais filmer tes pensées.’ C’est une des phrases les plus éclairante­s qu’on m’ait dites sur la mise en scène de cinéma.

Je pense vraiment que la caméra a accès à la pensée. C’est la plus grande beauté du cinéma.”

Lorsqu’on leur demande une dernière fois de tenter d’étreindre ce qui les rend si proches et a cimenté ce lien si complice qui les unit, il·elles réfléchiss­ent, échangent des regards de gêne amusée. Et puis Nicolas se lance : “Je crois qu’en fait Laure et moi sommes des égocentriq­ues qui ne s’aiment pas. Quand on nous convoque, on est contents d’être là, on pense même que nous sommes la personne parfaite pour être là et, en même temps, on se déteste !” Qu’importe puisque le cercle de ceux et celles qui les aiment ne cesse de s’élargir.

Propos recueillis avec Bruno Deruisseau

Garçon chiffon de et avec Nicolas Maury, avec Nathalie Baye, Arnaud Valois, Théo Christine et Laure Calamy (Fr., 2020, 1 h 49). En salle le 28 octobre. Lire la critique dans notre prochain numéro

Dix pour cent saison 4 sur France 2 du 21 octobre au 4 novembre et sur france.tv

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 ??  ?? Nicolas Maury dans son premier long métrage comme réalisateu­r, Garçon chiffon (2020)
Nicolas Maury dans son premier long métrage comme réalisateu­r, Garçon chiffon (2020)
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Dans le clip Apprivoisé de Calypso Valois réalisé par Bertrand Mandico (2017)
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Avec Niels Schneider dans Les Rencontres d’après minuit de Yann Gonzalez (2013)
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Dans Les Amants réguliers de Philippe Garrel (2005)
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Dans Victoria de Justine Triet (2016)
Laure Calamy dans Au moins j’aurai laissé un beau cadavre, adaptation d’Hamlet par Vincent Macaigne en 2011 Dans Victoria de Justine Triet (2016)
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Avec Vincent Macaigne dans Un monde sans femmes de Guillaume Brac (2012)
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Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal (2020)
Dans Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal (2020)
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