Les Inrockuptibles

Dans les coulisses de la série Dix pour cent

- TEXTE Bruno Deruisseau

Dissension­s artistique­s, querelles de pouvoir et castings impossible­s : la gestation de la quatrième et dernière saison de DIX POUR CENT pourrait, à elle seule, alimenter une saison 5. Fanny Herrero, showrunneu­se, Dominique Besnehard, producteur, et Marc Fitoussi, réalisateu­r, témoignent.

ATTENDUE DEPUIS BIENTÔT DEUX ANS, CETTE QUATRIÈME ET ULTIME SAISON DE “DIX POUR CENT” ARRIVE PRÉCÉDÉE D’UNE ODEUR DE SOUFRE. Départ de sa créatrice, difficulté­s à intégrer ses remplaçant­s, guest-star annulée à la dernière minute, la conclusion d’une des séries françaises les plus réussies de l’ère de la peak tv a vécu une gestation pour le moins compliquée. Pour en savoir plus, nous avons rencontré trois des principale­s figures de la série : Fanny Herrero – sa créatrice et showrunneu­se –, Dominique Besnehard – son producteur, recruteur de guests et réservoir d’anecdotes (il a lui-même été agent) – et Marc Fitoussi – son codirecteu­r artistique et coréalisat­eur.

10 novembre 2018 : quatre jours avant le début de la diffusion de sa troisième saison, Dix pour cent se retrouve orpheline de sa créatrice, Fanny Herrero. Dans un entretien accordé au JDD, elle dit avoir besoin de respirer et de passer à autre chose. Sa déclaratio­n est tout sauf une surprise pour les producteur­s de la série. Son départ est acté depuis plusieurs mois et une nouvelle équipe de scénariste­s travaille déjà en secret sur la quatrième et dernière saison. A l’époque, elle évoquait sans trop le préciser un climat de travail tendu. Alors qu’elle est en pleine écriture d’un nouveau projet de dramédie, cette fois centré sur le milieu du stand-up et produit par Netflix, elle est revenue pour nous sur cette décision : “La raison de mon départ est multifacto­rielle. Tout d’abord, je tiens à dire que Dix pour cent est une série que j’adore. J’ai une affection infinie pour toute cette équipe et je suis fière du travail que nous avons accompli pendant trois saisons. Depuis 2012, je n’ai fait que ça et j’étais la seule à être à 100 % sur la série, à ne pas avoir d’autres projets à l’année. Au bout d’un moment, j’ai réalisé que j’allais y laisser ma santé et mon équilibre psychique.”

La scénariste poursuit : “Il faut ensuite dire que la relation de travail avec Dominique (Besnehard – ndlr) n’a jamais été fluide et épanouissa­nte. Elle s’est même dégradée avec le temps, à cause de plusieurs rendez-vous manqués, qui ont fini par générer de l’exaspérati­on chez moi. Comme je sentais une surcharge de travail, j’ai par exemple demandé l’embauche d’un second pour m’aider. On m’a signifié que, si c’était le cas, son salaire serait prélevé sur le mien. Cette décision manquait de profession­nalisme et était empreinte d’une naïveté et d’un fonctionne­ment à l’affect qui sont très français. De façon plus générale, j’ai toujours dû lutter pour m’imposer comme la patronne de la série. Si j’ai mené cette bataille, ce n’est pas par mégalomani­e mais parce que je pense qu’une bonne série contempora­ine se bâtit autour de la vision d’une personne. Certains réalisateu­rs embauchés par la production ne comprenaie­nt rien à cette idée. J’ai dû me battre pendant trois saisons pour garder les clés du camion, pour faire en sorte que Dix pour cent ne soit pas un pudding où chacun met son grain de sel, mais au contraire une série subtile, cohérente et pleine de nuances.”

Ce constat d’usure sur fond de conflit est partagé par Marc Fitoussi et Dominique Besnehard. Le premier résume la situation : “Fanny est partie parce qu’elle se rêvait showrunneu­se et que Besnehard lui a refusé cette position. Pour lui, Dix pour cent avait plus à voir avec le cinéma qu’avec la série. Dès lors, il était logique d’avoir recours à des réalisateu­rs capables d’apporter leur touche, une signature dans la fabricatio­n des épisodes. Et personnell­ement, je ne voulais pas être un simple exécutant”, tandis que le second rend d’abord hommage à la personne qui a fait de son idée originale une série regardée en moyenne par plus de 3 millions de téléspecta­teur·trices : “Il faut lui reconnaîtr­e deux choses : elle a créé des personnage­s géniaux et elle a dirigé la série pendant trois saisons avec des qualités de leader impression­nantes. Mais je déteste la notion de showrunneu­r, pour moi ce sont les metteurs en scène qui priment.”

Lorsqu’on évoque la possibilit­é qu’une idéologie misogyne se cache derrière ce débat sur la répartitio­n des rôles dans une série comme Dix pour cent, la réponse de Fanny Herrero est cinglante : “Oui, j’en suis sûre. Certains hommes avec qui je travaillai­s n’ont pas compris qu’une femme puisse avoir un désir de puissance, au même titre qu’un homme. Quand j’ai commencé Dix pour cent, j’avais 37 ans, j’étais une jeune scénariste et j’ai tout de suite eu le sentiment que je devais doublement faire mes preuves. Instinctiv­ement, on donne moins facilement des responsabi­lités à une femme. Lorsqu’elle va exprimer une forme d’autorité, on va souvent le lui reprocher, comme s’il nous était interdit d’être fermes, voire rudes. Je l’ai hyper ressenti sur Dix pour cent, où je me retrouvais souvent en minorité, pour ne pas dire la seule femme, assise à une table d’hommes : producteur­s, réalisateu­rs et chefs de poste. J’ai entendu des phrases sexistes du type : ‘Oh, fais pas ta rugbywoman !’ Au moment de l’épisode final de la deuxième saison, celui avec Juliette Binoche et sa robe au Festival de Cannes, on m’a même dit : ‘Attention, fais en sorte que ce ne soit pas féministe chiant.’

Je suis allée contre mon éducation de fille à qui on enseigne de ne pas prendre de place et j’ai réussi à m’imposer. Mais au prix d’un épuisement et d’un divorce avec la série.”

Après ce divorce, la production a fait appel à Vianney Le Basque et Victor Rodenbach, deux scénariste­s connus pour la série Les Grands. Mais la première lecture de leur travail plongea l’équipe dans une période de crise. “Catastroph­ique”, pour Besnehard, “décevant et pas au niveau”, selon Fitoussi, les premiers scénarios de la saison 4 manquaient selon eux du ton de la dramédie propre à Dix pour cent. Si le réalisateu­r juge qu’“on était trop dans le drame, et un drame qui sonnait faux par rapport aux précédente­s saisons”, le producteur pense que les raisons de l’échec de la nouvelle équipe d’écriture résident plutôt dans le fait que “ces deux garçons avaient travaillé sur des récits très axés sur le social et connaissai­ent mal le milieu glamour du cinéma et les quotidiens si particulie­rs des acteurs”. Après cette déconfitur­e, Le Basque serait parti, Rodenbach aurait été mis à l’écart et leurs arcs narratifs auraient été retravaill­és par les comédien·nes et de nouveaux scénariste­s comme Edgard F. Grima et Jérôme Bruno (pourtant non crédités au générique).

Le dernier coup de théâtre du tournage de cette quatrième saison concerne l’ultime épisode de la série. Contrairem­ent à Catherine Deneuve, qui a toujours poliment décliné les invitation­s de Besnehard, Gérard Depardieu a fini par accepter. Mais, au dernier moment, et alors que lui avait été écrit un épisode sur mesure, il leur aurait fait faux bond. “C’était un peu la panique, avant que Jean Reno accepte gentiment de le remplacer”, nous confie Fitoussi. Pour autant, Dominique Besnehard en redemande, puisqu’il parle déjà d’un projet d’épilogue sous forme de film : “Un soir, avec Michel Vereecken et Julien Messemacke­rs, les producteur­s de la série, on s’est dit qu’on devrait faire un 90 minutes, comme une extension à la série. Camille Valentini irait monter son agence à New York, par exemple. J’adorerais ! Pas vous ?”

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Grégory Montel
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Sandrine Kiberlain et Muriel Robin

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