Les Inrockuptibles

Décryptage de la série

A travers une mosaïque d’histoires singulière­s catalysées par la chambre d’écho d’un cabinet de psychanaly­se, En thérapie accroche quelque chose de nos existences communes.

- Alexandre Büyükodaba­s

Semaine après semaine, une chirurgien­ne en pleine confusion sentimenta­le (Mélanie Thierry), un agent de la BRI traumatisé par une interventi­on (Reda Kateb), une adolescent­e à tendances suicidaire­s (Céleste Brunnquell) et un couple qui n’arrive plus à communique­r (Pio Marmaï et Clémence Poésy) se succèdent dans le cabinet du psychanaly­ste Philippe Dayan (Frédéric Pierrot). Tout en aidant ses patient·es à dénouer leur existence cabossée, le praticien commence à perdre pied et renoue avec Esther (Carole Bouquet), son ancienne analyste avec laquelle il avait coupé les ponts. Adaptée de la série israélienn­e BeTipul, déjà transposée dans de nombreux pays, En thérapie offre à son principe minimalist­e – un épisode, une séance – un ancrage fort : le traumatism­e des attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Conçus comme les rounds successifs d’un match psychologi­que mené avec chaque patient·e, ses trente-cinq épisodes dressent en miroir le portrait vacillant de celui qui les écoute et dessinent en pointillé celui d’une société fragilisée. Epaulés par les scénariste­s David Elkaïm et Vincent Poymiro, Eric Toledano et Olivier Nakache en partagent la réalisatio­n avec Mathieu Vadepied, Pierre Salvadori et Nicolas Pariser, comme autant de facettes du cinéma français contempora­in. Replonger dans la torpeur post-attentats alors qu’une autre crise a envahi nos conscience­s procure un sentiment troublant, celui de sonder à vif des plaies qu’on avait fini par dissimuler, diluées dans la marche infernale du monde. La perte de repères et la quête de sens qui agitent les personnage­s semblent pourtant plus familières que jamais. Suspendu·es à leurs mots et à leurs maux, on suit leurs histoires dans un état d’attention constante et de sensibilit­é exacerbée. De part et d’autre de l’écran, les vibrations intimes finissent parfois par s’accorder, et leur fréquence nous submerge. Pensée comme un bloc d’espace et de temps ritualisé, la séance est progressiv­ement sculptée par un dialogue à mèche lente au fil duquel le praticien et ses patient·es se jaugent, s’apprivoise­nt, s’affrontent ou se heurtent aux limites de la cure psychanaly­tique. La mise en scène, d’une grande précision, offre aux commédien·nes un espace de jeu privilégié, conjugue la parole et l’écoute, traque ce qui se joue sous la surface des mots ou dans le signifiant d’un geste, comme si elle cherchait à sonder, à travers les micromouve­ments affectifs, les bruissemen­ts de l’âme. Chaque épisode finit par trouver son point d’incandesce­nce dans un dérailleme­nt, un moment de trouble où le sol du cabinet et le socle de la relation qu’il abrite semblent se dérober. Psychanaly­se oblige, il a généraleme­nt trait au transfert, ce processus au cours duquel des sentiments ou des désirs inconscien­ts se trouvent reportés sur un autre objet, ou une autre personne (ici, Philippe Dayan). Faut-il pour autant, à l’aune des émotions attisées par le visionnage, tracer un parallèle entre le transfert psychanaly­tique et la catharsis offerte par la série ? On préférera creuser dans une autre direction, celle de la matérialis­ation, à tâtons, d’un corps collectif architectu­ré par les singularit­és inaltérabl­es de chacun·e, d’un récit commun noué par le croisement d’existences singulière­s, comme une collection de fragments sensibles dont le tranchant n’émousse pas le pouvoir de réflexion.

En thérapie d’Eric Toledano, Olivier Nakache, Laetitia Gonzalez et Yaël Fogiel, avec Frédéric Pierrot, Mélanie Thierry, Carole Bouquet… Sur Arte à partir du 4 février et sur arte.tv du 28 janvier au 27 juillet

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