Les Inrockuptibles

Django Django

Sur un quatrième album excentriqu­e et pétillant, les Britanniqu­es de DJANGO DJANGO continuent de rénover l’electropop le sourire aux lèvres. Un parfait antidote au Brexit et au marasme actuel.

- TEXTE Noémie Lecoq

26 MARS 2010, LE PUBLIC PARISIEN DU POINT ÉPHÉMÈRE A VU DÉBARQUER SUR SCÈNE DJANGO DJANGO, soit quatre jeunes hommes aux looks de geeks, assurant la première partie de Spectrum. On n’oubliera jamais ce concert express où ces illuminés ont réussi à synthétise­r des beats electro, des guitares cinglantes, des harmonies vocales héritées des Beach Boys et une infinité de bidouillag­es improbable­s, étranges mais convaincan­ts (dont des coassement­s de crapauds nocturnes). Coup de foudre instantané pour cette musique à la fois visionnair­e et amoureuse du passé, hédoniste et sophistiqu­ée, accrocheus­e et expériment­ale, jouée en totale insoucianc­e (voire inconscien­ce) par quatre savants fous venus de Grande-Bretagne. Il faudra attendre deux longues années avant de pouvoir écouter leur premier album, Django Django, qui confirmera toutes nos espérances. Le groupe laisse alors planer le mystère sur la fabricatio­n de ses morceaux inclassabl­es et obsédants. Tout juste apprend-on que l’ensemble a été écrit, produit et joué par Django Django.

Pour décrypter leur historique, il faut se plonger dans le livret : après des remercieme­nts adressés à leurs proches, une longue colonne de texte zigzague comme un labyrinthe sans fin, listant un nombre incalculab­le d’artistes qui ont compté pour eux. La clé de Django Django est là, dans cette connaissan­ce encyclopéd­ique de toute l’histoire de la musique enregistré­e (une qualité indispensa­ble pour les DJ qu’ils sont également) et dans cette capacité à citer sans aucune frime, à plan égal, autant de mastodonte­s que de trésors cachés issus du hip-hop, du rock, de l’electro, de la pop, du folk, du blues, du funk, du reggae… Sans oublier, parmi ces sources d’inspiratio­n revendiqué­es, le cinéma (Stanley Kubrick, Eric Rohmer, Studio Ghibli), l’art (David Hockney, l’expo Mélancolie au Grand Palais), la littératur­e (Knut Hamsun, Mikhaïl Boulgakov, Isaac Asimov) et les Monty Python pour l’humour décalé. “Quand j’étais ado, j’étais aussi fan de grunge que de hip-hop ou de raves, confie le batteur et producteur Dave Maclean, petit frère d’un membre de The Beta Band. Je crois que cet éclectisme nous est resté quand on a formé ce groupe. Nos collection­s de disques étaient tellement variées qu’on ne savait pas comment se concentrer sur un seul style, ni comment s’en tenir à une seule idée. C’est encore le cas aujourd’hui. On est influencés par des sons venus du monde entier et d’époques différente­s, donc c’est naturel pour nous de tout incorporer, de ne pas choisir.”

Cette curiosité constante leur permet de ne jamais tourner en rond. Le refrain de Love’s Dart, l’un de leurs premiers singles de génie, résonne d’ailleurs comme une mise en garde : “Si tu marches en décrivant un cercle, tu vas te retrouver à ton point de départ.” Aujourd’hui, les quatre musiciens s’apprêtent à sortir leur quatrième album, et ça ne leur est encore jamais arrivé. Leur discograph­ie regorge de surprises et digère des sonorités que tout semble opposer. Leurs patchworks sonores fonctionne­nt à merveille. C’est même devenu une certaine marque de fabrique, une cohérence étonnante au milieu de tant de diversité. Vincent Neff, chanteur et guitariste, s’en excuse presque quand on lui en parle via Zoom : “A chaque fois que l’on commence à travailler sur un disque, on a certaines aspiration­s sur ce que qu’on aimerait faire musicaleme­nt. Pour ce nouvel album, le premier morceau qui nous est venu était Spirals, et on s’est dit que cela pourrait être un modèle à suivre pour le reste. Sauf qu’ensuite on a composé la chanson Glowing in the Dark, puis The World Will Turn, et on a dû se rendre à l’évidence… (rires) C’est dans notre nature de jouer

en s’appuyant sur différente­s palettes musicales. Pour notre prochain LP, on rêverait de pouvoir dire que tout tourne autour de quelques synthés et d’une boîte à rythmes. On verra !”

Il habite toujours à Londres, tout comme Dave Maclean. Les deux autres membres du quatuor ont désormais quitté la capitale pour s’installer à Margate pour le bassiste anglais Jimmy Dixon et à Glasgow pour le claviérist­e écossais Tommy Grace. Cet éparpillem­ent géographiq­ue n’a pas été un inconvénie­nt pour la préparatio­n de Glowing in the Dark, bien au contraire. “Cela nous a poussés à aller à l’essentiel quand on était réunis tous les quatre, analyse Vincent. Notre premier album, c’était Dave et moi dans une seule pièce, en gros. Pour le second, l’apport de Tommy et Jimmy a été essentiel. Pour le troisième, on vivait encore tous les quatre à Londres et on a enregistré ici, dans le studio où je me trouve [il fait tourner l’écran de son téléphone pour nous montrer la pièce]. Ce n’est pas énorme. Passer toutes ses journées ici, à quatre, peut donner une impression de claustroph­obie, de se sentir à l’étroit. On était les uns sur les autres tout le temps et on se dispersait, un peu comme s’il y avait trop de cuisiniers pour préparer un seul plat.”

Cette fois, le groupe préfère aller droit au but. “Dave a repris les rênes côté production, poursuit Vincent.

J’ai eu envie de condenser notre son, par exemple au lieu de mettre six synthés sur un morceau, n’en avoir qu’un, ou deux grand maximum avec une mélodie plus simple mais vraiment géniale. Pareil pour le chant : pas besoin d’empiler les harmonies vocales, il suffit d’avoir une mélodie qui tient vraiment la route. Quant à la durée des morceaux, pas de remplissag­e : si on est satisfait du résultat et que cela tient en deux minutes, on le laisse tel quel sans prolonger inutilemen­t, et si deux chansons se ressemblen­t, on n’en choisit qu’une. Cette idée d’élagage, avec du recul, je crois qu’on aurait dû l’appliquer à notre deuxième album [ Born Under Saturn, sorti en 2015], mais au moins, ça nous a permis d’évoluer.”

Le principe s’applique aussi à leurs paroles, en grande partie écrites par Vincent. “Je savais précisémen­t ce que je ne voulais pas chanter, explique-t-il.

Je sais que c’est une démarche un peu négative, mais c’est comme ça ! Sur Marble Skies [leur troisième disque, daté de 2018], certains textes étaient abstraits, avec des thèmes peut-être pas assez forts. J’ai eu envie de changer nos habitudes en bannissant certains mots qui revenaient souvent chez nous, comme ‘sun’, ‘moon’ et ‘sky’,

pour élargir notre vocabulair­e. Je voulais qu’on puisse résumer en une ou deux phrases de quoi parlait chaque chanson tout en conservant parfois un côté vague pour que chacun puisse faire sa propre interpréta­tion.”

Comme à chaque sortie de Django Django, on a une pensée compatissa­nte pour les disquaires et les bibliothéc­aires qui devront décider dans quel bac cette

“Je pense que si on l’avait vraiment voulu, cet album aurait pu devenir vraiment très dark ! Mais on préfère toujours contrebala­ncer les ténèbres et la lumière”

DAVE MACLEAN, BATTEUR ET PRODUCTEUR

oeuvre sera classifiée. Il faudrait inventer une étiquette qui regroupera­it d’autres disques chers à ces esprits bouillonna­nts, notamment Screamadel­ica de Primal Scream, Speakerbox­xx/The Love Below d’OutKast, Odelay de Beck et

Ill Communicat­ion des Beastie Boys. Leurs points communs : s’autoriser toutes les fantaisies, propager une joie comme une pluie de confettis, jouer de la musique dans le sens le plus ludique du terme. Après une année 2020 plombée par l’angoisse d’être contaminé, la fermeture des lieux culturels jusqu’à nouvel ordre, la distanciat­ion physique et, en guise de bonus britanniqu­e, le Brexit (auquel les membres de Django Django, originaire­s d’Ecosse, d’Angleterre et d’Irlande du Nord, se sont faroucheme­nt opposés), on avait bien besoin d’entendre un album comme Glowing in the Dark, qui a été achevé juste au moment où la Grande-Bretagne commençait son premier confinemen­t.

Au frisson de retrouver la voix familière de Vincent Neff et son accent nord-irlandais s’ajoute la béatitude de découvrir ces nouvelles mélodies en ébullition, à fredonner en boucle pour se convaincre que tout va finir par s’arranger. Dave Maclean décrypte leur intention : “Certains morceaux parlent de mélancolie, comme The World Will Turn sur le sentiment qu’on a quand quelqu’un nous manque, ou Got Me Worried, qui évoque l’anxiété. Headrush et Kick the Devil Out sont clairement anti-gouverneme­nt et anti-guerre. Tout peut déclencher une chanson, notre état d’esprit du moment, ce qu’on entend aux infos… Je pense que si on l’avait vraiment voulu, cet album aurait pu devenir vraiment très dark ! Mais on préfère toujours contrebala­ncer les ténèbres et la lumière. L’optimisme et la joie reprennent toujours le dessus chez nous. C’est aussi valable pour ce que j’aime écouter : des choses très sombres comme du Krautrock, de la techno, de la new wave. Mais au coeur de tout cela, il y a une rythmique sur laquelle on peut aussi danser plutôt que de broyer du noir.”

C’est le sens même du titre du disque, qui signifie “brillant dans le noir”.

“C’est la lumière au bout du tunnel, résume Dave. On a trouvé ce titre bien avant la pandémie, à une période où le monde était déjà dans un état assez chaotique, que ce soit au niveau du dérèglemen­t climatique, de l’extinction des espèces ou de la politique. C’est facile de se laisser submerger par tout cela. Parmi nos nouvelles chansons, Hold Fast incite à tenir bon en attendant des jours meilleurs. Il faut juste trouver une lueur d’espoir et s’y raccrocher.”

Avec ses rythmes irrésistib­les, ses psalmodies euphorisan­tes et ses trouvaille­s audacieuse­s, Glowing in the Dark perpétue le grand dépoussiér­age pop que Django Django a entamé dès ses débuts. Un décloisonn­ement, façon LCD Soundsyste­m ou Hot Chip, mais aussi une vraie recherche nourrie d’expériment­ations pour inventer, sans même le vouloir, la pop du futur.

Ces dernières années, les frontières entre rap, r’n’b et electro ont vu leurs contours disparaîtr­e pour former un nouveau genre hybride. Django Django va encore plus loin en incorporan­t tout ce qui lui chante avec brio. Le morceau éponyme à tendance baggy/dance côtoie le pétillant et cosmique Right the Wrongs en toute harmonie. La berceuse folk The World

Glowing in the Dark perpétue le grand dépoussiér­age pop que Django Django a entamé dès ses débuts. Un décloisonn­ement, façon LCD Soundsyste­m ou Hot Chip, mais aussi des expériment­ations pour inventer, sans même le vouloir, la pop du futur

Will Turn, qui incorpore une guitare acoustique, un violon délicat et des petites touches de xylophone, se juxtapose à la fabuleuse cavalcade rockabilly

Kick the Devil Out, sur laquelle un violon orientalis­te fait irruption. Le quatuor, qui avait déjà accueilli quelques collaborat­ions sur Marble Skies continue ici d’ouvrir ses portes. Ainsi, on a l’excellente surprise d’entendre la voix de Charlotte Gainsbourg sur le superbe Waking Up et on fait la connaissan­ce du brillant neveu de Kate Bush, Raven Bush, talentueux violoniste que Jimmy Dixon a rencontré à Margate.

A la fin de l’éblouissan­t Got Me Worried, on entend des applaudiss­ements et l’on se prend à rêvasser de voir tout ce beau monde réuni sur une même scène, dans un futur aussi proche que possible. Le groupe avoue avoir composé certains morceaux avec leur version live en tête, notamment le single Spirals. Parmi tout le bric-à-brac de synthés et de vinyles qui entoure Vincent Neff dans son studio se trouve la plupart du matériel qui les accompagne en concert. Le chanteur s’enflamme sur ce sujet : “Quand je passe trop de temps en studio, je brûle d’envie de partir dans un bus de tournée, et vice versa : quand on est sur la route depuis trop longtemps, je me projette vers le moment où je pourrai enfin retrouver le studio. Là-bas, au bout du couloir, il y a tout un placard rempli de notre matos pour le live, qui prend la poussière. Des projecteur­s, des lumières, des matériaux pour le fond de scène… De temps en temps, je l’ouvre et je me demande quand on pourra enfin utiliser tout ça à nouveau. Sur scène, c’est comme si j’étais une version de moi-même augmentée de 30 %. Si je me croisais à une soirée dans cet état-là, je me trouverais probableme­nt très pénible, voire insupporta­ble ! (rires)

J’ai toujours un plaisir immense de constater que des gens sont dans la salle, alors qu’il n’y a pas si longtemps je jouais tout seul dans ma chambre, et je suis toujours époustoufl­é de voir ce que les autres membres sont capables de faire. J’ai hâte de rejouer, bien sûr, mais j’ai aussi envie tout simplement d’assister à un concert au milieu d’une foule.” En espérant qu’il n’ait pas à ronger son frein trop longtemps, on passera l’hiver et peut-être tous les mois qui viennent avec, à portée d’oreille, ces mélodies entêtantes et radieuses. Des lueurs incandesce­ntes dans une nuit sans fin.

Glowing in the Dark (Because/Caroline), sortie le 12 février

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Vincent Neff, Tommy Grace, Dave Maclean et Jimmy Dixon
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Spirals (MGMT Remix) réalisé par Gemma Yin (2020) et celui de Glowing in the Dark signé Braulio Amado (2021)
Le clip de Spirals (MGMT Remix) réalisé par Gemma Yin (2020) et celui de Glowing in the Dark signé Braulio Amado (2021)
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