Yugnat999
Créateur de MÈMES SUR INSTAGRAM le plus suivi de l’internet français avec plus d’un demi-million d’abonné·es, YUGNAT999 a animé, commenté et allégé le confinement et les longues soirées de couvre-feu de nombreux et nombreuses millennials. Portrait d’un mèmeur en passe de devenir un mème.
CELLES ET CEUX QUI CONSULTENT RÉGULIÈREMENT INSTAGRAM N’Y ONT SANS DOUTE PAS ÉCHAPPÉ : les mèmes de Yugnat999 (de son prénom à l’envers Tanguy, suivi du nombre de la Bête à l’envers lui aussi, sans que l’intéressé ne revendique un goût pour le satanisme, ouf) sont partagés par de plus en plus d’adeptes de son humour mêlant franglais, commentaires sur l’actualité et sur la mode ou simples regards amusés sur le quotidien des jeunes gens de sa génération.
A 28 ans, ce blond peroxydé né en région parisienne évoque ses débuts : “Mes parents envoyaient à leurs collègues des sortes de Powerpoint humoristiques sous forme de chaînes de mails. C’est la première forme de mème à laquelle j’ai été confronté à l’adolescence. Plus tard, j’ai beaucoup traîné sur des imageboards [sites de partage d’images] comme Reddit, 4chan et plus tard 9gag. A l’époque, tous les consommateurs de mèmes allaient sur des sites anglophones. En 2016, j’ai lancé sur Facebook un groupe qui s’appelle Neurchi de mèmes. On s’y échangeait des mèmes anglophones, parce qu’il faut savoir que, à l’époque, le mème était uniquement en anglais pour les puristes. La communauté a vite grandi, jusqu’à devenir totalement hors de mon contrôle. Neurchi de mèmes s’est décliné en des centaines de sous-groupes pour tout et n’importe quoi – philosophiques, cathos tradis ou encore bretons.”
Avant d’être le premier mèmeur de France, Tanguy a donc été à l’origine du développement d’une communauté du mème francophone qui est aujourd’hui vaste et protéiforme. Fin 2019, une Coupe de France du mème rassemblera même plus de 70 000 membres issu·es des différents groupes Neurchis de mèmes et des compétitions de mèmes plus communautaires seront organisées un peu partout. De son côté, il quitte le groupe en 2017 et se lance dans un projet plus perso sur Instagram, baptisé donc Yugnat999.
Celui qui tient une moyenne de cinquante-sept posts par semaine, soit environ huit posts par jour, affirme ne pas passer tant de temps que cela sur son téléphone portable : “Faire un mème ne me prend jamais plus de dix minutes entre le moment où j’ai l’idée et le moment où je la poste. Je mets mon image et mon texte sur un compte Twitter privé et je fais une simple capture d’écran. Parfois, j’utilise PicsArt si j’ai une manipulation d’image particulière à faire. Il y a quatre chemins qui m’amènent à la création d’un mème : soit une image est liée à une actualité et me donne une idée de mème ; soit une image d’un compte que je suis arrive sur mon feed et m’inspire ; soit je recycle une image qui est déjà un mème ; soit pour finir j’observe quelque chose dans le réel qui déclenche le désir de faire un mème, et là je recherche une image qui illustre mon idée. Plus rarement, je prends une photo de moi que j’intègre au mème, parce que la première règle de l’humour, c’est quand même d’accepter de rire autant de soi-même que des autres. Là, j’intellectualise ma démarche, mais dans les faits ça s’impose de façon assez naturelle à mon esprit. Le fait que je sois aussi productif est une question d’habitude.
A force d’avoir digéré tellement de contenus via internet, d’avoir passé tellement de temps à regarder des mèmes, une mécanique s’est installée en moi.”
Pourtant, son activité sur les réseaux et son quotidien sont pour lui bien distincts. Il n’hésite pas à parler d’une forme de double vie et revendique la possibilité de pouvoir débrancher de son avatar numérique à tout moment.
Si ce compte lui permet de gagner un peu d’argent via des partenariats ponctuels, il est salarié dans un secteur qui n’a rien à voir avec son activité de mèmeur.
“J’ai commencé ça comme un hobby. Je ne me suis jamais dit que ça allait prendre de telles proportions. La nature même du mème repose sur un emballement populaire, donc je ne peux pas dire que la viralité ne fait pas partie de l’équation, mais c’est d’abord quelque chose que je fais tout seul dans mon coin”, affirme ce jeune homme décontracté mais réservé. Rien que sur l’année 2020, il a vu sa page augmenter de 200 000 followers, dépasser le demi-million d’abonné·es et décrocher la très recherchée certification
d’Instagram (le petit badge bleu du profil qui valorise le compte), ce qui fait de lui, et de loin, le premier mèmeur de France. Il a ouvert la voie à de nombreux·euses autres mèmeur·euses, comme @jojoslam13, @orgesabitbol, @marinozememeur, @ogueturfu ou encore @lobbygouine.
Clairement orientés à gauche, plutôt queer, sensibles à la culture et baignés dans un milieu parisien jeune et branché, les mèmes de Yugnat999 ont aussi une dimension politique : “La gestion actuelle et très discutable de la crise sanitaire a un peu politisé mon compte. C’est clair que le mème peut être un vecteur politique puisque c’est un médium de communication.” Dans le contexte de la crise sanitaire, Yugnat999 a aussi réalisé que ses mèmes pouvaient avoir une valeur d’apaisement :
“Je crois que la force du mème, c’est aussi le partage d’une expérience.
Quand je fais un mème où je dis que je suis déprimé parce que je n’en peux plus du confinement et que j’aimerais retrouver ma vie d’avant, c’est un sentiment vrai. Je suis quelqu’un d’assez anxieux et ça me fait du bien quand j’ai des retours des gens et que je réalise que cette façon d’exprimer mon mal-être peut parler à des gens, les faire rire et les réconforter.”
Lorsqu’on l’interroge sur la portée de son activité de mèmeur, celui qui s’affirme de plus en plus comme un porte-parole de cette communauté déclare : “J’aimerais que ce soit plus pris au sérieux. Ce n’est pas juste de la déconne. Il y a parfois une recherche profonde, avec plusieurs degrés de compréhension et de références dont certains sont très fins. C’est ça tout l’intérêt du mème. Il s’agit d’une plongée dans un abyme où tout peut être détourné et modelé par chacun. C’est un outil hyper-puissant qui à mon avis est le meilleur reflet de notre époque.”
culturels suivants : tradition, croyance, dicton, idéologie, mot d’argot, légende urbaine, blague, théorie du complot ou encore effet de mode. En 1994, le magazine américain Wired va même plus loin en rapprochant le mème d’un virus : “Une idée contagieuse (appelée un mème viral) se transmet d’esprit en esprit, de la même façon qu’un virus se transmet d’un corps à un autre.” Au cours des années 1990, internet se répand petit à petit dans les ménages et révolutionne la communication humaine. Ce réseau informatique donne naissance à une nouvelle utilisation du mot, qui éclipse bientôt la première. Un peu comme si le mème avait fusionné avec ce nouveau moyen de communication pour accoucher des mèmes internet que nous connaissons aujourd’hui. On pourrait même s’amuser en observant que, selon le procédé d’évolution darwinienne auquel il se rattache, le mot “mème” s’est lui-même adapté à ce nouvel environnement et a évolué à son contact. Internet est ainsi au mème ce que le papier est à l’écriture ou le disque vinyle à la musique : il révolutionne son pouvoir de propagation. On pourrait définir un mème internet selon quatre principes : un message humoristique (il fait référence à un savoir ou à une expérience amusants et partageables par un grand nombre), un médium (courte vidéo, GIF, image et/ou texte ou simplement un message audio), une polysémie (il doit pouvoir être détourné et réinterprété par les membres de la communauté dans laquelle il se diffuse tout en préservant une trace du message originel) et enfin, le plus important, une viralité numérique (il doit atteindre un certain niveau de popularité sur internet, jusqu’à son but ultime : faire partie intégrante de la pop culture). De par sa nature essentiellement réplicante et infiniment recyclée, il est impossible de définir une archéologie précise du tout premier mème internet, mais plusieurs sources s’accordent autour du Dancing Baby (ou Baby Cha-Cha), une animation 3D d’un bébé dansant produite en 1996 par une société fabriquant des logiciels d’animation. Outre de multiples déclinaisons en ligne, ce GIF connaîtra de nombreux détournements dans la pop culture : il apparaîtra en tant qu’hallucinations récurrentes dans la série Ally McBeal, sera cité dans le jeu vidéo FIFA 99 et dans un épisode des Simpson de l’an 2000. Il est même réapparu en 2018 dans le clip 1999 de Charli XCX et Troye Sivan en tant que symbole de la culture des années 1990-2000. Le mot “mème” va faire son chemin dans la pop culture pour devenir un terme courant au début des années 2010. La liste est infinie, mais parmi les mèmes les plus connus on peut citer : Donald Trump, Grumpy Cat, le Ice Bucket Challenge, Salt Bae, la danse de Drake dans le clip de Hotline Bling, Bob l’éponge, le coup de boule de Zidane lors de la finale de la Coupe du monde 2006, les centaines de challenges chorégraphiques sur TikTok et dernièrement Bernie Sanders, ses grosses moufles à motifs et sa posture boudeuse lors de la cérémonie d’investiture de Joe Biden. Les mèmes sont devenus un pan immense de la culture contemporaine, un langage universel, celui d’internet. Peu d’études leur sont consacrées pour l’heure (on aurait rêvé que Roland Barthes écrive sur le phénomène), mais il est de plus en plus évident qu’ils exercent une influence grandissante sur la vie en société, que cela soit à travers le débat politique, le marketing ou la réaction à des événements aussi tragiques que joyeux. Dans son texte publié l’an dernier et intitulé Mèmes, gifs et communication cognitivo-affective sur Internet – L’émergence d’un nouveau langage humain (à lire sur journals.openedition.org/ communication/11061), le chercheur Albin Wagener écrit : “La valeur indicielle forte des mèmes devient capitale pour comprendre les bouleversements interactionnels et sociétaux induits par la communication numérique, non pas en tant que phénomène virtuel propre, mais en tant qu’ensemble de faisceaux interdynamiques qui lient ontologiquement le réel physique et le réel numérique.”