Les Inrockuptibles

Plein soleil

L’Américaine BRISA ROCHÉ, Française d’adoption, s’allie avec le multi-instrument­iste FRED FORTUNY sur un album lumineux où le ciel californie­n ressemble à un 45t pop.

- Rémi Boiteux

UN CHARME AUSSI IMMÉDIAT QUE CE “FREEZE WHERE U R”, c’est une propositio­n qui ne se refuse pas. Comme celle faite par Brisa Roché et Frédéric Fortuny de pleinement collaborer, l’espace d’un album à quatre mains. La Californie­nne et le Parisien sont loin d’être étranger·ères l’une à l’autre : leur travail en commun remonte à l’excellent Takes (2007), deuxième album signé Brisa Roché, après son éclosion chez Blue Note, jalon dans une carrière de pépites chatoyante­s ou plus confidenti­elles, et parfois bouleversa­ntes ( Father, 2018). Quatre mains qui confection­nent ici douze chansons au format pop : deux à trois minutes trente pour l’essentiel, des morceaux qui savent donner sans s’épuiser en formalités. C’est donc la Côte Est des Etats-Unis qui montre d’abord son visage joliment apprêté, celui du Brill Building new-yorkais et de ces chansons-bulles qui encapsulen­t les élans et les frustratio­ns du coeur en quelques secondes effervesce­ntes. Mais c’est pour mieux nous la faire à l’envers – et l’album commence par un premier single qui s’intitule… Last Song. Car d’Est on bascule vite en Ouest, direction le sunshine californie­n au fil d’orchestrat­ions dorées.

Cet éclatant soleil émane de l’accord entre deux artistes qui font montre d’un plaisir irrésistib­lement communicat­if tout au long de l’album. L’évidence des mélodies, leur allant, leur allure font filer le tout jusqu’au Quite Clean final : si nous ne sommes pas lavé·es de toute mélancolie, au moins aurons-nous profité de la lumière. Enregistré presque à l’ancienne au studio bruxellois ICP, Freeze assume son classicism­e en y adjoignant de discrètes touches synthétiqu­es – que ne renierait pas Jason Lytle de Grandaddy – derrière l’entraînant Don’t Want a Man, puis plus affirmées dans le beau chaos du morceau qui donne son titre à l’album, ou encore dans l’atmosphéri­que I Love You

rappelant les collages interstici­els chez Eels. Jason Lytle, Mark Oliver Everett : des Californie­ns mélancoliq­ues encore, qui bricolent eux aussi leurs pop songs en faisant briller des pièces détachées du passé dans de vulnérable­s assemblage­s.

Sous les généreux arrangemen­ts, la voix de Brisa est soutenue avant tout par le piano de Fred – ces moments où le sommet You Were Mine tombe le masque, et le reste, avant de remettre son costume de lumière seventies. Une voix qui sied aux élans nourris d’une soul de singles sixties, une voix qui puise jusqu’aux années 1930 ( Tempted Tune ou Blue Light, entre patine délicieuse­ment mutine et alanguisse­ment vintage), un héritage en noir et blanc abordé avec autant de gourmandis­e colorée que par la Björk de Post

(1995). On pense bien sûr aux aventures de l’Islandaise

(The Pattern) comme à la fragile assurance de Weyes Blood, une lignée ravivée par les textes très féminins que signe une Brisa Roché en héritière directe de Carole King. Et par elle, nous voilà revenu·es à New York, prêt·es à refaire la route sans geler sur place – pour décliner l’injonction du titre trompeur d’un album enchanteur.

Freeze Where U R

(Black Ash-December Square/ L’Autre Distributi­on)

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