Les Inrockuptibles

Un passé très composé

Croisant l’esprit des feuilleton­s et la noirceur des séries contempora­ines, PARIS POLICE 1900 fait de la Belle Epoque le miroir de nos temps troublés.

- Alexandre Büyükodaba­s

PARIS, 1899. LE PRÉSIDENT FÉLIX FAURE VIENT DE MOURIR DANS LES BRAS DE SA MAÎTRESSE. Suspendue aux rebondisse­ments de l’affaire Dreyfus et excitée par les groupes anarchiste­s et les ligues antijuifs, la France semble au bord de la guerre civile. C’est dans ce contexte mouvementé, celui d’une “Belle” Epoque tiraillée entre nationalis­me et ouverture, archaïsme et modernité, que s’inscrit Paris Police 1900, la nouvelle création originale de Canal+.

Alors que le préfet de police Lépine (Marc Barbé) entre en fonction, un inspecteur de la criminelle (Jérémie Laheurte), une avocate ambitieuse (Eugénie Derouand), une courtisane devenue moucharde (Evelyne Brochu) et un flic corrompu (Thibaut Evrard) sont entraîné·es dans une affaire de féminicide dont les ramificati­ons dessinent les contours d’un coup d’Etat.

Puisant dans la tradition feuilleton­iste du XIXe siècle, prolongée notamment par les serials de Louis Feuillade dans les années 1910 (Fantômas, Les Vampires), et rongée par la noirceur de la télévision contempora­ine, la série frappe par la précision de sa reconstitu­tion historique. Tout en dépliant la constellat­ion des forces antagonist­es qui agitent le Paris d’alors, elle plonge le·la spectateur·trice dans des décors dignes d’une fiction gothique – le quartier des bouchers, aux grilles duquel les miséreux·euses tendent leurs gobelets en attente d’une rasade de sang – ou d’une satire de la bourgeoisi­e décadente – ces salons où les tractation­s politiques se nouent dans le stupre et les shoots d’héroïne.

L’applicatio­n mise en oeuvre pour donner vie le plus fidèlement possible à cette époque trouve néanmoins sa limite dans le fétichisme qu’elle cultive pour les objets – alignés comme les bibelots d’un cabinet de curiosités – et dans le jeu souvent affecté des comédien·nes, au risque d’un effet musée de cire. On sauvera néanmoins les partitions sensibles de Jérémie Laheurte, tempes nerveuses et regard fuyant, et de Thibaut Evrard, poings serrés et coeur noué, qui fonctionne­nt comme les deux facettes d’une même pièce – good cop, bad cop.

Si les fils de l’intrigue criminelle mettent du temps à s’assembler, c’est parce qu’elle est au fond secondaire, prétexte à la matérialis­ation des vents contraires qui traversent une époque dans laquelle, pour citer un Antonio Gramsci très en vogue ces temps-ci, “le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître… et dans ce clair-obscur surgissent les monstres”.

Cette société en crise, que l’institutio­n policière cristallis­e ici par métonymie, souffre d’une projection un peu forcée du regard idéologiqu­e contempora­in sur la trajectoir­e de ses figures féminines, desservies par des dialogues au progressis­me anachroniq­ue – là où l’exposition frontale de la violence patriarcal­e faisait passer le propos avec suffisamme­nt de clarté. Le processus inverse, consistant à convoquer notre époque en miroir de celle du récit, se révèle plus affûté : à la vue d’une police gangrenée par les ligues d’extrême droite, de l’instrument­alisation de la haine envers une population minoritair­e ou de la fascinatio­n aveugle pour le progrès technologi­que, quelque chose, entre les trames des pixels, se reflète de nos temps troublés.

Paris Police 1900 sur Canal+ à partir du 8 février

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Jérémie Laheurte

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