Les Inrockuptibles

Courant continu

Tout juste vingt-cinq ans après leur premier single, les Ecossais de MOGWAI sortent leur dixième album, entre brutalité et beauté mélancoliq­ue.

- Noémie Lecoq

DÉBUT 1996, UNE BANDE DE MUSICIENS DE GLASGOW RÉUNIS SOUS LE NOM DE MOGWAI DÉVOILE un single en guise de préambule, Tuner/ Lower, la première référence du label indépendan­t qu’ils viennent de créer, Rock Action. Depuis, le catalogue du label s’est largement étoffé, non seulement avec tous·tes les artistes qu’ils ont signé·es (Blanck Mass, Sacred Paws, Arab Strap…) mais aussi grâce à tout ce que Mogwai a publié au cours de ses vingt-cinq années d’existence. Dix albums studio, dont As the Love Continues,

ainsi qu’une ribambelle de projets parallèles : EP, bandes originales de films et de séries (dont Les Revenants ou, plus récemment, ZeroZeroZe­ro). Autant d’occasions de décliner le post-rock dans tous ses états, de ses caractéris­tiques les plus brutales et claustroph­obes jusqu’à de vaporeux moments d’élévation, de lévitation même.

Cette longévité, les membres de Mogwai en sont les premiers étonnés. “Quand on a démarré ce groupe, raconte Stuart Braithwait­e, on était très jeunes et on voulait juste faire quelques singles, peut-être passer à la radio, mais je crois qu’on n’envisageai­t même pas d’enregistre­r un album. D’ailleurs, quand cette étape est arrivée, on ne savait pas du tout comment s’y prendre ! (rires) Se dire qu’on en a sorti dix et qu’on existe depuis vingt-cinq ans, c’est bien au-delà de nos espoirs de l’époque.”

Depuis son premier LP, Young Team, la “jeune équipe” a développé son savoirfair­e sans rien préméditer, simplement à force d’expérience­s. Quand on lui demande si le groupe avait une idée précise de ce qu’il voulait obtenir sur ce nouveau disque, Stuart, chanteur, compositeu­r et multi-instrument­iste, avoue que leur songwritin­g est davantage une affaire d’instinct que le résultat d’une mûre réflexion. “En général, on ne sait pas trop où on va quand on commence à travailler sur un album. On se réunit pour jouer ensemble et voir jusqu’où ça nous mène. Il n’y a pas de grande discussion théorique, ni de plan ni d’objectif. On s’y met et on écoute ce qui se passe. Si ça nous plaît, on continue dans cette direction, et si ce n’est pas le cas on arrête et on fait autre chose.”

Pour tenter une autre approche et de décrypter leur mode d’emploi, on essaie alors de lui extirper ce qu’ils recherchen­t dans une chanson : “J’aime penser que lorsque notre musique est réussie elle parvient à transporte­r les auditeurs, à les emmener loin de tout ce qui est terre à terre. Difficile de décrire exactement vers quoi… Il y a un truc mystérieux là-dedans et c’est cette magie qu’on espère atteindre.” S’échapper coûte que coûte vers un ailleurs, quel qu’il soit : ce fameux concept d’“escapism”, plus que jamais crucial en ces temps où plane la menace d’un reconfinem­ent, a toujours nourri la créativité de ces Ecossais. En privilégia­nt les plages instrument­ales,

ils proposent de longues suites contemplat­ives alternant avec des tornades rock lancinante­s. Les onze morceaux qui figurent sur As the Love Continues reflètent ces deux tendances, entre contemplat­ion céleste et spleen sauvage. La plupart du temps, Mogwai s’exprime sans prononcer aucun mot – à l’exception de Fuck Off Money, chanté au vocodeur, et de Ritchie Sacramento, single ténébreux.

Pandémie oblige, ce dixième LP a été enregistré non pas dans le studio de Dave Fridmann aux Etats-Unis, comme initialeme­nt prévu, mais en Angleterre par les membres de Mogwai, connectés en permanence en visio avec le producteur de l’autre côté de l’Atlantique. On y entend des collaborat­ions avec Atticus Ross et Colin Stetson. En s’accompagna­nt d’une batterie implacable, de mélodies d’une beauté terrassant­e et de guitares déchiqueté­es, ils parviennen­t à communique­r des émotions intenses, en particulie­r sur les montées en puissance qu’ils échafauden­t avec brio. Citons par exemple la conclusion à couper le souffle,

It’s What I Want to Do, Mum, ou la fabuleuse Drive the Nail. “Celle-ci a été écrite par Barry [Burns] à la guitare avec un accordage bizarre, explique Stuart.

Ça ne lui arrive pas souvent de composer à la guitare, mais quand il le fait ça donne toujours de grands moments.”

On lui demande comment le quatuor choisit ses titres, en particulie­r pour les morceaux sans paroles.

“Un peu au hasard, reconnaît-il. Ce sont des mots qu’on a lus, entendus, ou mal compris.

As the Love Continues provient de la fille de Martin [Bulloch, leur batteur], qui a 5 ou 6 ans. Elle a dit ça, et on a bien aimé ! Ça change de la plupart de nos précédents albums qui ont des intitulés très sombres.”

On pense évidemment à Come On Die Young (1999) et à Hardcore Will Never Die, but You Will (2011).

Cet art de manier le clair-obscur se retrouve effectivem­ent dans leurs discours tranchants. Stuart lâche un avis sans appel sur l’après-Brexit : “J’espère que l’Ecosse va devenir un pays indépendan­t et rejoindra l’Union européenne. Ce serait une étape importante que tout le monde attend ici. Je me sens optimiste quand je regarde les jeunes d’aujourd’hui. Cette nouvelle génération est très futée et, en comparaiso­n, la vieille classe politique a l’air vraiment stupide.Voilà ce qui me remplit d’espoir pour le futur.” On a hâte de les retrouver sur scène pour célébrer les vingt-cinq ans de carrière de ces musiciens enflammés. Fidèles au post-rock.

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Martin Bulloch, Dominic Aitchison, Stuart Braithwait­e et Barry Burns
 ??  ?? As the Love Continues (Rock Action Records/ PIAS), sortie le 19 février
As the Love Continues (Rock Action Records/ PIAS), sortie le 19 février

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