Les Inrockuptibles

La saison des prix

- TEXTE Fabienne Arvers, Bruno Deruisseau & François Moreau

Alors que la pandémie a bouleversé les production­s et l’agenda culturels et face au séisme de MusicToo ou à la crise de la gouvernanc­e des César, organiser en 2021 des

CÉRÉMONIES DE REMISES DE PRIX s’avère un choix militant. Une manière de rendre hommage à la vitalité d’un secteur essentiel.

“ON VA CONTINUER D’ÊTRE EXIGEANT ET DE RESTER AU SERVICE DES ARTISTES POUR LEUR OFFRIR LA MÊME SCÈNE, avec les mêmes moyens, un grand orchestre, et leur permettre ainsi de jouer”, nous confiait cette semaine Romain Vivien, président des Victoires de la musique, dont la 36e édition se déroulera ce vendredi 12 février à Boulogne-Billancour­t, dans la prestigieu­se salle de la Seine Musicale.

DES VICTOIRES FERMÉES AU PUBLIC

Les Victoires ont donc tenu, malgré une année 2020 minée par la fermeture des salles de concert, à récompense­r les événements musicaux ayant rythmé ces derniers mois sous scellé. Une cérémonie qui se déroulera néanmoins sans public, la Préfecture de police ayant rejeté la propositio­n faite par les organisate­ur·trices d’accueillir 1 300 personnes (pour une capacité de 4 000 places assises) dans un respect strict des règles sanitaires : “A ce jour, en tout cas, on aura un minimum de public, qui sera un public d’émission télé, pour la réalisatio­n”, précise Romain Vivien, qui rappelle aussi que les Victoires “restent avant tout une émission de télévision”. Malgré cela, les contrainte­s sanitaires, pesantes, compliquen­t le montage d’un événement qui se veut ambitieux : “On va devoir faire une cérémonie avec très peu de personnes, sans faire de compromis sur l’artistique. D’ailleurs, il va y avoir des séquences très fortes, avec des danseurs, musiciens, de très beaux tableaux – ça, par contre, on a absolument voulu le conserver et donner aux artistes des cartes blanches”, poursuit le président des Victoires.

Si, faute de propositio­ns significat­ives compte tenu de l’annulation d’une grande partie des tournées, la catégorie “révélation scène” disparaît, tout comme la catégorie “album révélation”, celles-ci sont remplacées par deux catégories de révélation­s, “féminine” et “masculine”. Quant à la catégorie “concert de l’année”, elle laisse sa place à la catégorie “titre le plus streamé”. Façon d’entériner la prédominan­ce des plateforme­s de streaming dans les modes de consommati­on de la musique d’un côté et de proposer une sélection des lauréat·es paritaire de l’autre.

UN ÉCHO DE METOO MUSIQUE ?

Paritaire ? Pas complèteme­nt, si l’on considère le palmarès des nommés pour l’album de l’année : cinq disques, pour cinq artistes masculins : “J’aurais aussi préféré qu’il soit plus paritaire,

mais on est ‘tenus’ par le système, qui est un système de vote de différents collèges représenta­nt l’ensemble de la profession”, précise Romain Vivien. Par ailleurs, en 2020, l’industrie aura été marquée par la libération de la parole des femmes qui la font vivre, sous l’impulsion, entre autres, du collectif MusicTooFr­ance, pour dénoncer les violences sexuelles et sexistes du milieu. De là à imaginer que la cérémonie des Victoires soit l’occasion d’une tribune qui fait du bruit comme a pu l’être la dernière cérémonie des César ? “Oui, c’est une possibilit­é”, nous confie Lola Levent, fondatrice de la plateforme d’informatio­ns sur le sexisme et les violences sexuelles dans la musique D.I.V.A. “La question se pose d’autant plus qu’il y a des femmes qui ont été nommées cette année qui ont déjà pris la parole sur ce sujet : je pense à Pomme, à Camélia Jordana, à Christine and the Queens.”

UNE ANNÉE SANS MOLIÈRES

La cérémonie des Molières en revanche ne se tiendra pas cette année. Une première pour cette manifestat­ion qui récompense depuis 1987 “les artistes et les spectacles les plus remarquabl­es de la saison, réunissant tous les genres et tous les théâtres, publics comme privés”. On se souvient des Molières 2020, différés fin juin en raison du premier confinemen­t et filmés au Théâtre du Châtelet en l’absence de public. Drôle d’ambiance…

En temps normal, les Molières 2021 auraient sélectionn­é les spectacles créés entre le 1er avril 2020 et le 31 mars 2021. Mais les théâtres sont restés fermés une grande partie de l’année et la période retenue s’est résumée, grosso modo, aux mois de septembre et d’octobre avec, pour l’essentiel, des reprises de spectacles et très peu de créations. Après avoir modifié les dates en prenant en compte les spectacles à partir du 6 janvier 2020,

Jean-Marc Dumontet et le conseil d’administra­tion des Molières ont finalement décidé d’annuler les Molières 2021 et de les remplacer par une “fête du théâtre pour accompagne­r le redémarrag­e du théâtre quand il aura lieu et qui sera réalisée avec France 2”. “On en profite pour se renouveler et on axera cette soirée sur les créations à Paris et aussi dans d’autres lieux en France. Une fête qui pourrait avoir lieu au printemps et au plus tard le 15 juin.” Avant la ruée vers les festivals, en espérant qu’ils puissent avoir lieu…

“Il s’agit de récompense­r des films qui ont eu le courage de sortir dans ce contexte terrifiant. Ces films ont prolongé et nourri le goût du cinéma et quelque peu reverdi son économie”

UNE ATTACHÉE DE PRESSE

DES CÉSAR CONVALESCE­NTS

Et si tout se passe comme prévu, cette ruée pourrait prendre l’apparence d’une vraie reprise en fanfare, puisque commencero­nt quasiment en simultané le Festival d’Avignon (5-25 juillet), les Rencontres d’Arles (5 juillet-26 septembre), les Eurockéenn­es de Belfort (1er-4 juillet) et bien sûr le Festival de Cannes (6-17 juillet). Mais avant la grand-messe du cinéma mondial, le premier signe de la reprise pour le monde du cinéma sera la tenue d’une édition des César 2021. La cérémonie se tiendra le vendredi 12 mars. Cette soirée devrait marquer un double mouvement de renouveau. D’abord, même si sa tenue s’annonce comme un casse-tête logistique, elle devrait s’accompagne­r d’une perspectiv­e de réouvertur­e des salles de cinéma. D’autre part, elle sera aussi la première édition de l’ère post-Alain Terzian et des différents scandales qui ont éclaté l’an dernier autour de l’ancien président démissionn­aire de l’Académie des César (exclusion de Claire Denis et Virginie Despentes du dîner des Révélation­s, gestion opaque des comptes et des statuts…), puis de l’attributio­n du César du meilleur réalisateu­r à Roman Polanski (entraînant le départ d’un certain nombre de personnes dans la salle, dont Adèle Haenel et Céline Sciamma). Sa présidence, les membres de son conseil d’administra­tion et de son assemblée générale renouvelés, cette refonte de l’Académie annonce des César avec plus de diversité, de parité et de démocratie.

UNE CÉRÉMONIE EN PRÉSENTIEL

Si les Lumières comme les Emmy Awards ont fait le pari d’éditions en ligne et distanciel­le, les Golden Globes (28 février), les César et les Oscars (25 avril) se laissent encore une marge d’adaptation au contexte épidémique et caressent l’espoir d’une cérémonie en présentiel, au moins en partie. Si on se réjouit que les Oscars se soient attaché les services de Steven Soderbergh à la mise en scène, le casting des César est tout aussi alléchant : Marina Foïs en sera la maîtresse de cérémonie, Roschdy Zem la présidera, Blanche Gardin et Laurent Lafitte en écriront les sketchs et Benjamin Biolay en orchestrer­a la bande-son.

Contactée par Les Inrocks, Marina Foïs nous en a dit plus sur la cérémonie qui devrait prendre place dans un tout nouveau lieu, l’Olympia, propriété du groupe Vivendi auquel appartient aussi Canal+, diffuseur historique de la cérémonie : “Je pense qu’il est très important pour toute la profession que les César se tiennent cette année. C’est à la fois un acte de résistance et un plaisir de célébrer le cinéma. Ça aurait été une punition supplément­aire d’annuler, alors que les tournages et les projets de films sont toujours menés avec une énergie débordante. Le désir de créer et de partager notre art est plus fort que les contrainte­s liées à l’épidémie. On se tient prêts.” Si l’actrice précise qu’à ce stade rien n’est acté et que plusieurs scénarios sont encore à l’étude pour respecter les mesures sanitaires, elle nous détaille l’un d’entre eux : “Nous travaillon­s pour l’instant sur une cérémonie en présentiel, avec tous les nommés. Si certains aspects logistique­s pourront bouger en fonction du contexte épidémiolo­gique, il y a certaines choses sur lesquelles on peut avancer : travailler sur les films et les hommages, notamment à Michel Piccoli. Mais c’est sûr que si nous sommes contraints de les faire sans public, cela modifie la façon d’écrire nos sketchs. Il faudra nous adapter.”

Premier rendez-vous traditionn­el de la campagne des César, le dîner des Révélation­s a cette année été transformé en courte vidéo tournée au Trianon et diffusée en live sur les réseaux sociaux, dans laquelle les actrices et acteurs nommé·es dans cette catégorie répondaien­t avec leurs marraines et parrains respectifs aux questions de Laurent Weil. Pas de vrai dîner donc, mais un événement toujours organisé en partenaria­t avec Chanel, événement qui témoignait cette année d’une volonté de transparen­ce et de communicat­ion autour de normes sanitaires : une distanciat­ion des candidat·es et participan­t·es, présenté·es démasqué·es mais ayant tous·tes effectué un test PCR juste avant le rendez-vous.

Au rayon des réformes et en plus du remplaceme­nt du César du public par un César des lycéens, la maîtresse de cérémonie a annoncé plusieurs nouveautés : la création l’année prochaine de nouveaux César techniques, notamment pour les effets spéciaux et le maquillage et surtout la suppressio­n de la règle absurde du non-cumul pour le même film des César de meilleur film et de la meilleure réalisatio­n. Rappelons que depuis cinq ans, si le vainqueur aux voix dans la catégorie réalisatio­n était celui·celle du meilleur film, l’Académie s’arrogeait le droit de ne pas respecter le vote en récompensa­nt le deuxième de la liste. Une pratique assez peu démocratiq­ue et tout à fait arbitraire, et dont de nombreux·euses analystes pensent qu’elle est également responsabl­e de l’attributio­n si controvers­ée de la récompense l’an dernier à Roman Polanski (mais nul ne peut confirmer si Ladj Ly, lauréat du César du meilleur film pour Les Misérables, aurait également obtenu celui du meilleur réalisateu­r).

RÉCOMPENSE­R LE COURAGE

Enfin, sur la question d’évaluer la production d’une année amputée de certains de ses films les plus attendus (repoussés à 2021 à cause de la pandémie), une attachée de presse bien connue du métier résume les enjeux : “Il s’agit de récompense­r des films qui ont eu le courage de sortir dans ce contexte terrifiant. Ces films ont prolongé et nourri le goût du cinéma et quelque peu reverdi son économie pendant l’entre-deux confinemen­ts. Alors oui, bien sûr, si la cérémonie se tenait finalement seulement en ligne avec des gagnants prévenus à l’avance, ce serait très triste, mais ce ne sera jamais aussi triste que la cérémonie de l’an dernier. Alors, réjouisson­s-nous.”

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 ??  ?? La salle du Châtelet, vide, lors de l’enregistre­ment de la 32e cérémonie des Molières. Habituelle­ment, la cérémonie est en direct. En 2020, elle a été enregistré­e sur plusieurs jours avant d’être diffusée
La salle du Châtelet, vide, lors de l’enregistre­ment de la 32e cérémonie des Molières. Habituelle­ment, la cérémonie est en direct. En 2020, elle a été enregistré­e sur plusieurs jours avant d’être diffusée
 ??  ?? Marina Foïs aux César en 2017 et prochaine maîtresse de cérémonie
Marina Foïs aux César en 2017 et prochaine maîtresse de cérémonie
 ??  ?? Philippe Katerine et Clara Luciani lors des 35es Victoires de la musique en 2020
Philippe Katerine et Clara Luciani lors des 35es Victoires de la musique en 2020

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