David Grann, enquêteur intrépide
Maître de la narrative nonfiction américaine et coqueluche d’Hollywood qui s’arrache ses enquêtes spectaculaires, l’écrivain et journaliste du New Yorker DAVID GRANN fait paraître en France The White Darkness, un fascinant récit d’aventures polaires et d’ambition dévorante. L’occasion de discuter obsessions, écriture et calamar géant.
DAVID GRANN N’A PAS VRAIMENT LE PROFIL D’UN AVENTURIER. IL N’A RIEN DU BAROUDEUR badass à la Kessel ou du gonzo cramé façon Hunter S. Thompson. A le voir sur les photos en ligne, chemise propre, veste en velours et fines lunettes, il a plutôt l’air d’un professeur de SVT jovial ou d’un libraire de gauche. Lui-même d’ailleurs concède qu’il est plutôt “sédentaire”, “pas très sociable”, un brin “introverti”. Dur alors de l’imaginer en pleine jungle amazonienne sur les traces d’un mystérieux royaume disparu, à crapahuter dans les tunnels souterrains new-yorkais ou à affronter des lames de six mètres de haut sur un rafiot tanguant en quête d’un calamar géant au large de la Nouvelle-Zélande. Et pourtant… Comme disent les Américain·es : “Don’t judge a book by its cover.”
Car derrière cette cover bonhomme se cache l’un des journalistes les plus intrépides et célébrés de ce qu’on appelle la narrative nonfiction, genre littéraire hybride où se mêlent à la première personne enquête, biographie et récit de voyage. Héritier du New Journalism [style qui émergea dans les années 1960-1970 et fut baptisé ainsi par Tom Wolfe en 1973, mettant à l’honneur le regard subjectif du·de la journaliste], David Grann est une star des librairies et des pages du New Yorker, où il est staff writer (rédacteur) depuis 2003. Au mythique hebdomadaire américain, il livre des enquêtes de 20 000 mots, façonnées sur plusieurs mois, payées jusqu’à 3 dollars le mot. A ce tarif-là, dégaine d’aventurier ou pas, Grann mouille la chemise.
Né en 1967 d’un père cancérologue et de l’éditrice Phyllis Grann, première femme à diriger une prestigieuse maison d’édition américaine (Penguin Putnam), l’auteur a “toujours voulu écrire”. “Depuis que je suis tout petit, nous confie-t-il par mail. Au début, je ne savais pas exactement quelle forme ça allait prendre, et au final je me suis fait happer par la non-fiction.”
La légende veut qu’un roman de jeunesse traîne dans un tiroir, mais que, ensuite, comme Grann aime à le répéter au fil de ses interviews, détournant une célèbre formule de Sherlock Holmes : “J’ai réalisé qu’il y avait dans le monde une infinité d’histoires vraies qui défient tout ce que mon esprit pouvait imaginer.”
Auteur d’une trentaine d’enquêtes, réunies ou redéployées dans plusieurs ouvrages (quatre aux Etats-Unis, huit en France), David Grann a fait de l’exploration des tréfonds de l’âme humaine son sacerdoce. Meurtres, malédictions, folies, injustices et obsessions, il détricote avec rigueur, férocité même, les destinées intrigantes d’obstiné·es flamboyant·es, de victimes innocentes et d’hurluberlus héroïques. “Ceux, écrit Grann, qui ont dans la tête le germe d’une idée qui métastase jusqu’à les consumer.”
Dans la jungle citée plus haut, il remonte la trace du colonel Percy Fawcett, explorateur britannique disparu lors de sa folle quête d’une cité perdue dans l’enfer vert de la forêt brésilienne ( La Cité perdue de Z, 2010 pour la traduction française). Sur le rafiot du marin Steve O’Shea, genre d’Achab sourd et daltonien, il tient la barre pendant que le doux dingue poursuit son