Les Inrockuptibles

Disney+ lance Star

Avec STAR, sa nouvelle section dédiée aux adultes, DISNEY+ casse son image de plateforme jeune public et muscle ses arguments pour challenger le géant Netflix. Mais la guerre du streaming vidéo existe-t-elle vraiment ?

- TEXTE Théo Ribeton

CE SERA, NOUS DIT LE COMMUNIQUÉ OFFICIEL, LE “SIXIÈME PILIER”

DE LA PLATEFORME, les cinq autres étant Disney, Pixar, Star Wars, Marvel et National Geographic. A partir du 23 février, le service Disney+ rassembler­a sous la bannière Star un catalogue de quelque 450 titres (films et séries) dits adultes bien que tout de même plutôt familiaux, issus des studios et networks avalés plus ou moins récemment par la firme la plus puissante et la plus monopolist­ique de l’histoire du divertisse­ment humain – ABC, FX, 20th Century Studios (ex-Fox) ou Touchstone en étant désormais des succursale­s. La nouveauté ne concerne que les territoire­s non-américains, puisque Disney exploite aux Etats-Unis ce catalogue sur des plateforme­s distinctes, comme Hulu. Elle s’accompagne d’une légère augmentati­on de l’abonnement mensuel, qui passe de 6,99 euros à 8,99 euros, restant donc trois euros moins cher qu’un abonnement standard à Netflix, mais aussi trois euros plus cher qu’un abonnement à Amazon Prime.

Concrèteme­nt, de quoi parle-t-on ? De films et de séries que vous avez probableme­nt déjà vus, ou prétendu avoir vus afin de dissuader un·e interlocut­eur·trice de vous en rebattre les oreilles : mythes pop et oeuvres cultes des années 1980 à 2000, séries madeleines (Buffy contre les vampires, Glee, Alias, 24 Heures chrono, Les Griffin, American Dad!, How I MetYour Mother…), romances indémodabl­es (Pretty Woman, Moulin Rouge!, High Fidelity, Romeo+Juliette…),

vétérans de la chasse à l’Oscar (Titanic, Little Miss Sunshine, Le Cercle des poètes disparus, L’Odyssée de Pi…), pépites d’action pop nineties (Speed,Volte/Face…),

et bien sûr une bonne louchée de sagas intégrales, afin d’occuper les week-ends confinés d’Alienathon­s, de Planètedes­ingeathons, de Diehardath­ons et de tous les “thons” qui vous feront plaisir. Des nouveautés, aussi, mais peu, comparativ­ement à un tel tsunami de comfort watching : la nouvelle série du créateur de Big Little Lies, Big Sky, le teen show LGBT Love,Victor et la série animée Solar Opposites, petite soeur de Rick et Morty, sont les principaux titres “chauds” d’une offre essentiell­ement froide.

Si vous avez eu au moins trois fois envie de revoir un film ou une série en lisant ce dernier paragraphe, Disney a probableme­nt gagné son pari. Et si vous n’en avez pas eu envie plus que ça…, Disney a sûrement gagné quand même. Car l’année 2020 a rebattu les cartes de ce que l’on annonçait encore en 2019 comme un imminent massacre concurrent­iel (une demi-douzaine d’arrivants venant soudain disputer à Netflix et Amazon leur duopole : Disney+, Apple TV+, HBO Max, Peacock…), qui ne s’est finalement pas produit, tout simplement parce que le gâteau à se partager s’est, pandémie oblige, élargi de moitié. “Forget the Streaming Wars”, titrait le Wall Street Journal le 30 décembre dernier, au grand dam des amateur·trices de boucherie

capitalist­ique, en commentair­e d’une enquête commandée aux instituts HarrisX et MoffettNat­hanson LLC où le très sérieux journal révélait qu’“au lieu d’une guerre du streaming, il y [avait] eu une coexistenc­e, et une croissance parallèle”. Selon cette même enquête, les principale­s plateforme­s ont vu leur nombre d’abonné·es américain·es augmenter de 50 % sur l’année. Le nombre moyen de plateforme­s auxquelles souscriven­t les foyers américains a franchi la barre des trois en 2020 (de 2,7 à 3,1) : assez pour y inclure Disney+, qui occupe la troisième place, et la première si on ajoute Hulu qui lui appartient.

En France, ces chiffres sont plus modestes. Dans une enquête YouGov pour le HuffPost réalisée au moment du lancement américain en 2019 de Disney+ – quelques mois, donc, avant le lancement dans l’Hexagone –, les Français·es, déjà souscripte­ur·trices d’un service, se disaient prêt·es à dépenser en moyenne 18,41 euros mensuels dans des abonnement­s à des plateforme­s. En mars 2020, une étude menée par l’institut Dynata révèle qu’une personne sur deux se déclarait décidée à souscrire à un abonnement dans les douze mois à venir, une proportion qui augmentait lorsqu’on était déjà client·e d’un ou plusieurs services. Cette enquête ne prenait pas encore en compte les effets du confinemen­t, survenu quelques jours plus tard.

Tout concourt donc à pousser Disney+ à se satisfaire d’une confortabl­e place dans un paysage certaineme­nt assez grand pour Netflix et elle. “On est en train de remarquer que les gens s’abonnent à plusieurs services en même temps, explique Marie Turcan, rédactrice en chef de Numerama. Il y a une complément­arité entre Disney+, qui est destinée à s’ancrer comme une plateforme de catalogue faite pour les Marvelthon­s et pour occuper les gosses, et Netflix, qui est en train de prendre un leadership indétrônab­le en tant que plateforme de nouveautés.” Netflix a prévu pour 2021 une politique d’occupation absolue de l’actualité :

un nouveau film par semaine – en 2020, son budget de production a dépassé les 17 milliards. Disney+, de son côté, ne devrait pas chercher à rivaliser sur ce terrain, mais plutôt à imposer peu à peu, via Star, son fonds de catalogue, destiné à grossir à 1 000 titres d’ici à la fin de l’année “et sécuriser des exclus, ce qui n’est pas encore le cas” – les six saisons de Glee, par exemple, sont encore sur Netflix. Si Star reste quantitati­vement inférieure à sa principale “concurrent­e”, elle devrait dominer sur le qualitatif – ou disons plutôt le culte – en s’appuyant sur son offre pléthoriqu­e de pop culture doudou et s’imposer dans le paysage comme la plateforme rassembleu­se, celle des plaisirs d’enfance, des valeurs sûres et de l’imaginaire collectif. En atteste sa dernière fonctionna­lité : GroupWatch, un outil permettant de regarder à plusieurs et de commenter en simultané un même contenu pour des movie nights distanciel­les entre amis. C’est ça, une plateforme familiale.

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Aliens de James Cameron (1986) et la série
24 Heures chrono : trois nouvelles acquisitio­ns de la plateforme Star
Piège de cristal – Die Hard de John McTiernan (1988) ; Aliens de James Cameron (1986) et la série 24 Heures chrono : trois nouvelles acquisitio­ns de la plateforme Star

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