Les Inrockuptibles

L’Ile aux oiseaux

de Maya Kosa et Sergio da Costa

- Marilou Duponchel

Entre documentai­re et fiction, un jeune homme renaît au monde au contact d’oiseaux blessés. Une échappée insulaire à la substance fragile et poétique.

APRÈS UNE PREMIÈRE MONDIALE AU FESTIVAL DE LOCARNO EN 2019, c’est finalement via la plateforme SVOD de Shellac, développée tout récemment par le distribute­ur indépendan­t, que nous parvient L’Ile aux oiseaux, dont la courte durée (une heure) offre déjà un premier indice sur les substances qui l’habitent : la fragilité et l’éphémère. Fragilité des éléments, de la nature, des êtres, et en l’occurrence ici fragilité d’un grand garçon au corps dégingandé et au visage pâle.

Sur cette île aux oiseaux, véritable centre vétérinair­e et hôpital de convalesce­nce pour oiseaux blessés découvert par le duo de réalisateu­r·trices suisses un beau jour de 2013, Antonin, la vingtaine, est en rémission. On le sait malade, fatigué. Il travaille mais parfois son corps ne tient plus. Il s’allonge et on imagine son ancienne vie, semblable à celle du héros d’Un homme qui dort de Georges Perec, broyant du noir, enfermé dans une piaule, les yeux plantés au plafond. A la fébrilité du jeune homme, amené là pour retrouver “le monde”, répond celle des oiseaux secourus dans ce centre qui ne compte que la vétérinair­e, Emilie, et quelques employé·es bénévoles, dont Paul et Iwan, anciens chômeurs en réinsertio­n, personnes du réel mais personnage­s tout de même, qui cachent leurs secrets comme des énigmes à déchiffrer. Dans ce huis clos à ciel ouvert, îlot de paix coupé de tout mais contaminé

par les bruits d’un aéroport voisin, c’est un état naturel des choses, avec la violence qu’il recèle (un élevage de souris pour nourrir les aigles ; la mort d’un oiseau filmé en direct), qu’il faut tenter de préserver.

Dans ce jeu de cycles, métaphore de vie et d’éternel recommence­ment, libre à nous de voir ce que l’on souhaite y voir : une histoire de dépression et d’épiphanies sensitives qu’elle procure, une histoire de deuil, celui d’un monde en voie d’extinction, un conte thérapeuti­que ou une fable apocalypti­que qui est sûrement la nôtre, avec ses pesticides et ses animaux morts, empoisonné­s.

Film ramassé et aérien, ni tout à fait documentai­re ni tout à fait fiction, L’Ile aux oiseaux est un film au naturel fabriqué, comme modulé à la fois par un principe de mise à distance, des corps et de la voix blanche, atone, d’Antonin, et d’extrême proximité, des gestes qu’on isole et des sons qu’on écoute. Un film de stase mélancoliq­ue au temps dilaté, qui s’écoule et se retient, s’écoute autant qu’il se regarde. Un film bressonien en somme, carcéral et ouvert, monacal et lyrique, dans lequel on entre, absorbé, comme dans un refuge, silencieux et attentif.

L’Ile aux oiseaux de Maya Kosa et Sergio da Costa, avec Antonin Ivanidze, Emilie Bréthaut (Suis., 2019, 1 h). Sur le Club Shellac

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