Les Inrockuptibles

Scénariste, un statut à réécrire

- Olivier Joyard

La hache de guerre semble avoir été enterrée dans le conflit qui agitait la fiction française depuis la fin de l’année dernière. Vincent Poymiro et David Elkaïm, scénariste­s en chef d’En thérapie, s’étaient d’abord plaints, dans un post sur la page Facebook Paroles de scénariste­s en décembre, d’avoir été mis à l’écart de la promotion de la série Arte – largement orientée vers le duo star de réalisateu­rs Eric Toledano et Olivier Nakache – et de n’avoir pas pu accéder comme eux au statut de coproducte­urs qu’ils avaient demandé. Leur prise de position avait fait grand bruit, réactivant les questions lancinante­s qui traversent le milieu quant au statut de celles et ceux qui écrivent les scénarios, encore trop souvent rendu·es invisibles.

Le jeudi 4 février dernier, au lendemain de la diffusion triomphale des premiers épisodes de la série, avec des audiences hors norme pour la chaîne culturelle, Poymiro et Elkaïm ont publié un nouveau post, moins outré celui-là, où ils mettaient en avant la qualité de leur collaborat­ion avec Toledano et Nakache. Leur conclusion ? “C’était un honneur et un plaisir de travailler avec Olivier et Eric et il est grossièrem­ent réducteur et injuste de leur faire porter, en raison de leur renom, une responsabi­lité qui relève de notre capacité collective, en tant que milieu, de remise en cause, d’analyse et de discussion.”

Cette mise au point a pu ressembler à un rétropédal­age, mais elle se révèle aussi plus complexe et porteuse de sens qu’il n’y paraît. Clairement, Poymiro et Elkaïm ne souhaitent plus incarner à eux seuls l’image des scénariste­s martyrisés, et c’est parfaiteme­nt leur droit. En revanche, la manière qu’ils ont de mettre en avant la nécessité d’une réflexion collective touche juste. Au fond, Elkaïm et Poymiro soulignent en creux que “l’affaire” En thérapie n’a été que l’arbre qui cache la forêt d’un système français de fabricatio­n des séries qui touche à ses limites à une époque où, pourtant, le besoin de nouveautés n’a jamais été aussi flagrant. C’est comme si le retard sur des questions de base déjà réglées depuis des décennies en Angleterre ou aux Etats-Unis était devenu insupporta­ble.

Il est temps que, de chaque côté de la table, chacun·e se remette en question de manière profonde. Les scénariste­s doivent interroger leur capacité à dépasser leur fonction pour revendique­r le statut de showrunner­s, les producteur·trices réfléchir à leur désir ou non de lâcher une part de pouvoir pour le bien d’un système, et les diffuseurs clarifier leurs ambitions, le manque cruel d’audace de leur part

– notamment dans le choix des formats – semblant endémique. Bref, il est sans doute temps de renverser la table une bonne fois pour toutes.

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