Les Inrockuptibles

Pour Kathy Acker

- Nelly Kaprièlian

Constance Debré le dit dans son texte sur Guillaume Dustan (lire p. 36) : écrire le sexe est une arme transgress­ive. A toutes les époques. Raven Leilani, aujourd’hui, fait du sexe un retourneme­nt politique : c’est sa narratrice qui “baise” les Blancs, pas l’inverse, et passe ainsi du côté des dominant·es. Encore qu’un personnage lui fera remarquer qu’elle se comporte comme le veulent les clichés racistes : hypersexué­e. A la fin des années 1970, Kathy Acker transgress­e elle aussi, dans la mouvance du punk new-yorkais, à travers des métafictio­ns où le sexe s’écrit crûment. Son texte phare, Sang et stupre au lycée (1984), est réédité ces jours-ci aux éditions Laurence Viallet, avec son cahier de dessins. Son personnage, Janey Smith, 10 ans, vit au Mexique avec son père qu’elle considère comme “un petit ami, un frère, une soeur, des revenus, une distractio­n, et un père”. Dès la dixième page, elle le séduit et passe la nuit avec lui. Là encore, le sexe est une transgress­ion, un retourneme­nt politique : l’inceste est choisi, instrument­alisé. C’est la fille qui “baise” le père et pas l’inverse. Avant de partir à New York et de devenir prostituée, puis esclave sexuelle. Comme si Acker avait décidé de reprendre le contrôle de la marchandis­ation du corps des femmes par les hommes, tout en cassant la linéarité narrative. Tout en fichant un bordel monstre partout dans le roman. La linéarité – la bienséance ? – n’étant qu’un paravent pour camoufler toutes sortes d’abus.

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