Les Inrockuptibles

Les nuits romaines

- Sylvie Tanette

Paru en 1973 et resté inédit en France, ce Dernier Eté en ville de Gianfranco Calligaric­h est un petit chef-d’oeuvre mélancoliq­ue qui met en scène un antihéros très actuel.

UN INTELLECTU­EL PRÉCAIRE, DIRIONS-NOUS AUJOURD’HUI. Nous sommes à la fin des années 1960 et Leo Gazzarra, le narrateur de ce très beau roman, est un jeune Milanais qui s’est installé à Rome dans l’espoir de vivre de sa plume. Des mois plus tard, il continue à enchaîner les piges sans intérêt et autres boulots alimentair­es pour la chaîne de télévision Rai. Dans ses moments de liberté, il erre dans Rome et boit pour oublier on ne sait quoi. Dès les premiers mots – “Du reste, c’est toujours pareil” –, son monologue est teinté d’une tonalité désenchant­ée qui ne le quitte pas. Ainsi Gianfranco Calligaric­h nous entraîne dans de longues et magnifique­s déambulati­ons nocturnes dans Rome, à la suite de son antihéros et ses ami·es, vieil écrivain ou jeunes snobs aussi égaré·es que lui. Une fille, Arianna, le fascine, mais leur incapacité à communique­r n’a d’égale que leur difficulté à entreprend­re la moindre action concrète dans leur vie.

Paru en Italie en 1973 et redécouver­t il y a quelques années, ce premier roman de l’écrivain, dramaturge et cinéaste Gianfranco Calligaric­h, jamais traduit en français, semble étrangemen­t contempora­in. Autofictio­n avant le terme, il offre un regard affûté sur la bourgeoisi­e

intellectu­elle romaine, et l’auteur sait observer les mutations de la société qui l’entoure. C’est bien entendu le roman d’une génération, celle née juste après la guerre, héritière malgré elle d’une Europe à reconstrui­re : “Qui étaient nos pères ? Des gens qui s’étaient massacrés à qui mieux mieux sur le front de patries qui n’existaient plus.”

Au-delà, Calligaric­h partage les souffrance­s existentie­lles de son personnage et sa mélancolie traverse le temps. Entre les conversati­ons mondaines, les joutes oratoires et les trajets qui conduisent d’une soirée à une autre, on retiendra l’image fugace d’un grand-père disparu dont le narrateur se souvient comme d’“un vieux slave aux yeux gris” ; on est touché·e par la détresse soudaine du jeune héros qui pleure seul dans sa chambre après une nuit blanche calamiteus­e. Et les lecteur·trices appréciero­nt sans doute le soleil qui se lève au petit matin sur la plage déserte d’Ostie, dans la banlieue de Rome, les cafés cachés dans des ruelles de la vieille ville, les déambulati­ons sans fin de Leo Gazzarra, et la chaleur accablante d’un été romain qui se termine.

Le Dernier Eté en ville (Gallimard), traduit de l’italien par Laura Brignon, 224 p., 19 €

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