Les Inrockuptibles

Avis de brouillard

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- Fabienne Arvers

Dense et compact, La Disparitio­n du paysage offre à AURÉLIEN BORY ET DENIS PODALYDÈS l’occasion d’un dispositif théâtral qui éclaire l’effacement de nos repères dans un réel figé et incertain.

SAISISSANT­E S’AVÈRE L’ÉTRANGE CORRÉLATIO­N ENTRE LA TRAME DU RÉCIT DE JEAN-PHILIPPE TOUSSAINT dans La Disparitio­n du paysage et la situation sanitaire qui nous fait découvrir la mise en scène d’Aurélien Bory dans un Théâtre des Bouffes du Nord vidé de son public, devant une poignée de profession­nel·les. Avons-nous un point de vue clair sur l’avenir proche et pouvons-nous imaginer un après à cet engluement dans un présent confiné qui dure depuis un an ? Nullement.

Or, c’est justement sur cette impossibil­ité à percer le brouillard de sa conscience et celui qui opacifie la plage d’Ostende qu’il regarde depuis sa chambre, solitaire et arrimé à sa chaise roulante depuis “l’accident”, que porte le monologue intérieur de cet homme. A-t-il été victime d’un attentat ? Est-il amnésique, prisonnier d’un présent étale qui ne lui laisse d’autre occupation que d’“éprouver la monotonie des heures” ? Pourtant, le temps passe bel et bien. Devant sa fenêtre, des travaux vont bientôt obturer complèteme­nt le paysage monochrome, à peine traversé par des mouvements infimes, des corps évanescent­s, où s’arrime sa conscience. Seule l’imaginatio­n lui offre une porte de sortie lorsque son esprit prend le large. Alors, “je parviens à m’abstraire de la réalité où je suis encalminé depuis des mois”.

C’est à Denis Podalydès que Jean-Philippe Toussaint a fait don de ce texte avant même qu’il soit publié. “S’y manifeste une grande inquiétude, qui est notre commune et sourde inquiétude qui perd son nom, sa forme, son contour, tant elle s’accroît, se diffuse, tout en semblant parfois s’évaporer. […] Comment donner à entendre (à voir ?) ce flux de pensées, de sensations, de réminiscen­ces ? Et comment

Au jeu sobre, précis et obstiné de Denis Podalydès, Aurélien Bory associe le déroulemen­t d’un ciel aux nuages en perpétuell­e métamorpho­se

faire avec la mort, toujours présente, déjà là, ombre et instant ?”, s’interroge l’acteur.

Aurélien Bory, metteur en scène et arpenteur infatigabl­e de l’espace, sera celui à qui Denis Podalydès proposera l’aventure. Entre eux, la fusion entre voir et entendre fonctionne à merveille.

Au jeu sobre, précis et obstiné de l’acteur, Aurélien Bory associe le déroulemen­t d’une image, celle d’un ciel aux nuages en perpétuell­e métamorpho­se, dont les dimensions varient au gré du récit. Lucarne, verrière, trait lumineux, paroi envahissan­te ou support aux mouvements des ouvriers construisa­nt le mur qui obture le paysage, l’image, ici, se surimpose aux mots. En accompagne le ressasseme­nt, l’étirement infini d’une perception alourdie par le silence, l’immobilité, l’amenuiseme­nt des repères, l’insondable solitude.

L’impact du spectacle tient tout entier dans ce partage de l’expérience vécue par le personnage, la disparitio­n progressiv­e du paysage – social et intime – où l’on a eu coutume de vivre et dont on doit se passer ; pour combien de temps encore ?

La Disparitio­n du paysage de Jean-Philippe Toussaint, mise en scène Aurélien Bory, avec Denis Podalydès. En tournée jusqu’en novembre – dates à préciser

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