Les Inrockuptibles

SI ELLES DOIVENT BEAUCOUP À ALAIN GORAGUER, MICHEL COLOMBIER, JEAN-CLAUDE VANNIER OU JEAN-PIERRE SABAR, LES ÉCRITES PAR SERGE GAINSBOURG N’EN DEMEURENT PAS MOINS UN FORMIDABLE CREUSET À RÉEXPLORER.

- TEXTE Thierry Jousse

ORIGINALES DE FILMS

BANDES

À PREMIÈRE VUE, ON POURRAIT CROIRE QUE LA MUSIQUE DE FILM N’A JOUÉ QU’UN RÔLE SECONDAIRE dans la trajectoir­e de Serge Gainsbourg. Mais, si on creuse un peu, on se rend compte que cet aperçu, bien trop rapide, ne correspond pas à la réalité. D’abord, la quantité : une quarantain­e de bandes originales au compteur, réparties sur l’ensemble de sa carrière, en gros, du début des années 1960 jusqu’à la fin des années 1980. Ce qui est déjà la preuve irréfutabl­e d’une certaine persévéran­ce. Mais si on ajoute la qualité quasi constante de ses musiques pour le cinéma, on est bien obligé de s’incliner devant cette carrière parallèle qu’on a surtout découverte, à quelques exceptions notables, après la disparitio­n du grand Serge.

Tout commence à l’orée des années 1960. A cette époque, Gainsbourg est bien loin d’être une star. Il est juste un chanteur de cabaret timide et introverti, à la noirceur affirmée, une promesse de la chanson française, pas davantage. Jacques Doniol-Valcroze, cofondateu­r des Cahiers du cinéma, qui a beaucoup aimé son premier album Du chant à la une ! (1958), décide de faire appel à lui pour la chanson titre de son premier long métrage, L’Eau à la bouche (1960). On connaît la suite. Jusqu’au succès internatio­nal de Je t’aime… moi non plus, version Birkin, L’Eau à la bouche restera tout simplement le plus grand hit de Gainsbourg qui, par ailleurs, tout au long des années 1960, accumule les échecs commerciau­x. Finalement, Serge Gainsbourg écrira non seulement la chanson du film mais l’ensemble de la partition. A cette époque, déjà lointaine, le chanteur vient d’entamer un compagnonn­age fécond avec l’arrangeur et compositeu­r Alain Goraguer. Doté de solides bases techniques qui faisaient défaut à Gainsbourg, c’est lui qui se chargera de convertir les mélodies de Serge en jazz West Coast ou dans un style afrocubain.

Avant Doniol-Valcroze, il y avait eu Truffaut, qui avait pressenti Serge Gainsbourg pour écrire la musique de Jules et Jim que le cinéaste envisageai­t de tourner juste après

Les 400 Coups. Finalement, Tirez sur le pianiste (1960) sera le deuxième long métrage de Truffaut et marquera l’irruption de Georges Delerue dans le monde du cinéaste. Alors, quand Jules et Jim passe de l’état de projet à celui de film, exit

Gainsbourg. De la Nouvelle Vague, Gainsbourg, tranchant comme à son habitude, dira à cette époque : “C’est un mélange d’avant-goût d’arrière-garde et surtout d’arrière-goût d’avantgarde.” Ambiance ! Point de Godard ou de Chabrol dans les premiers titres de la filmograph­ie musicale de Gainsbourg mais, à leur place, les moins prestigieu­x Hervé Bromberger ( Des loups dans la bergerie, 1960) ou Jacques Poitrenaud ( Strip-Tease,

en 1963, ou, un peu plus tard, en 1968, Ce sacré grand-père,

lequel figure un duo mythique entre Gainsbourg et Michel Simon, le mémorable L’Herbe tendre).

Qu’importe : Gainsbourg, toujours flanqué de son indispensa­ble complice, Alain Goraguer, trace sa route dans le monde de la musique de film. Pour Des loups dans la bergerie,

polar au climat très noir, les deux hommes écrivent un thème subtilemen­t mélancoliq­ue que Goraguer magnifie par ses arrangemen­ts jazz de haute volée. Et pour Strip-Tease, cinq ans avant Andy Warhol et Lou Reed, Gainsbourg se met en tête de faire chanter l’actrice principale du film, une quasi-débutante nommée Nico. C’est finalement la version de Juliette Gréco qui sera choisie. Mais l’essai non-transformé par la future interprète de Sunday Morning sera exhumé, plus de quarante ans plus tard, par Stéphane Lerouge pour la première édition du coffret

Le Cinéma de Serge Gainsbourg. dans

EXIT GORAGUER, BIENVENUE COLOMBIER

Entre Gainsbourg et Goraguer, le torchon brûle assez vite. Après trois ans d’intense collaborat­ion, Alain Goraguer, qui abat un boulot considérab­le, se plaint de ne pas être reconnu comme compositeu­r des musiques de films que les deux hommes ont, la plupart du temps, écrites à quatre mains. La rupture est inévitable. Le scénario se reproduira à l’identique avec les arrangeurs qui accompagne­ront ensuite Gainsbourg, qu’ils se nomment Michel Colombier, Jean-Claude Vannier ou Jean-Pierre Sabar. Justement, après une période de transition, Gainsbourg rencontre le surdoué Michel Colombier. Comme Goraguer, Colombier collabore étroitemen­t aux chansons de Serge mais également aux musiques de films qui lui sont commandées assez régulièrem­ent. Commence alors une période faste, ponctuée d’abord par des films peu connus, réalisés par de

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