Les Inrockuptibles

PREMIÈRE INTERPRÈTE DE LA GADOUE, L’IMMENSE DÉBARQUÉE DE LONDRES À LA FIN DES ANNÉES 1950, A CONNU L’EFFERVESCE­NCE DU PARIS DES SIXTIES. ELLE TÉMOIGNE D’UN GAINSBOURG TIMIDE ET BRILLANT. MALADROIT AUSSI.

PETULA CLARK,

- TEXTE François Moreau

Vous avez rencontré Serge Gainsbourg au début des années 1960, vous écoutiez sa musique avant cela ?

Petula Clark — Je le voyais à la télévision, je l’écoutais à la radio et j’aimais beaucoup sa voix. Je le trouvais très attirant. J’aimais beaucoup le personnage, mais, bien sûr, ce n’était pas encore Gainsbarre ! C’était Serge Gainsbourg, l’artiste. J’aimais beaucoup ses chansons de l’époque. (elle se met à entonner La Javanaise) J’adorais cette chanson !

Quel souvenir gardez-vous de votre rencontre ?

Je reçois un coup de téléphone et on me dit que Serge Gainsbourg veut me rencontrer parce qu’il a peut-être une chanson pour moi. J’étais très excitée par cette nouvelle, vous imaginez. Il vient à l’appartemen­t, à Paris – j’étais assez nerveuse, mais lui tremblait beaucoup.

Il était très timide ! J’avais mon magnifique piano à queue – j’étais si fière de mon piano – et je lui dis : “Il semble que vous ayez une chanson pour moi, vous pouvez peut-être me la jouer.” Je lui propose un thé, il était 16 h, il m’a regardée :

“Un thé ?” (elle rit) Alors peut-être une bière ! Je vais dans la cuisine, je reviens.

Il fait alors un mouvement brusque et la bière est tombée dans le piano. Je dois dire que c’était un moment délicat. Il était dans un état… J’ai essayé de dire que ce n’était rien, alors que je pensais :

“Mon piano, mon piano !”

Et puis, il a joué la chanson, je crois que c’était Vilaine Fille, mauvais garçon. Quand il est reparti avec son éditeur, il pensait : “C’est cuit avec Petula Clark, parce que j’ai ruiné son piano !” Par la suite, j’ai vu que son image changeait. Ce n’était plus le Serge Gainsbourg que j’ai connu derrière mon piano. Mais le changement, c’est bien, c’est sain.

Comment s’est passé l’enregistre­ment de cette chanson ?

On enregistra­it presque tout à Londres. Je sais que tous ses plus gros succès il les avait enregistré­s à Londres, comme Johnny, comme tout le monde, en fait. Il est venu lors de certaines séances pour m’aider, parce que certaines paroles étaient difficiles à prononcer pour moi. Il aimait beaucoup jouer avec les mots et c’était parfois compliqué ! C’était toujours drôle et plaisant d’être avec lui. C’était assez rare que le compositeu­r vienne à Londres pour l’enregistre­ment. Lui, il tenait à être là, il n’était pas difficile

Top à Petula Clark du tout. Il aimait mon accent, la preuve, il a trouvé une autre Anglaise plus tard !

Il y a eu La Gadoue aussi, qui a été un grand succès.

Oui, mais c’était la dernière. Il y a eu aussi O ô Sheriff, Les Incorrupti­bles, pas mal de chansons avant. La Gadoue a été un gros succès, puis Jane Birkin l’a enregistré­e après moi. On a joué ce morceau en duo chez les Carpentier avec Serge, c’était merveilleu­x. Et puis ma vie est devenue très compliquée après le succès de Downtown, j’étais beaucoup aux Etats-Unis, je ne passais que quelques jours à Paris. Ma vie a changé et je pense que celle de Serge aussi.

Avez-vous un souvenir fort lié à Serge Gainsbourg ?

Après que Serge est parti, j’ai chanté La Javanaise avec Jane. Et c’était un moment très spécial pour moi, délicieux et difficile en même temps. On a fait ça presque sans répétition. Le public dans la salle a beaucoup aimé, mais c’était surtout spécial pour moi et pour Jane aussi, je pense.

C’est une fierté d’avoir pu travailler avec lui ?

Je suis reconnaiss­ante de faire partie des gens qui ont travaillé à ses côtés ! C’est un petit club auquel je suis ravie d’appartenir.

Vous avez aussi chanté des chansons de Boris Vian, qui était l’un des mentors de Serge Gainsbourg.

Oh, c’est très loin ça. Quand j’ai fait l’Alhambra avec Henri Salvador et Michel Legrand, qui était le chef d’orchestre, je ne parlais vraiment pas français. J’arrivais tout juste à dire “bonsoir” et “merci” sur scène. Je crois que c’était une idée d’Henri de faire une chanson en argot. Avec mon accent, il trouvait l’idée assez drôle. J’ai composé la musique et c’est le merveilleu­x Boris Vian qui a écrit les paroles [la chanson

Angliche Java]. J’ai eu beaucoup, beaucoup de mal à les apprendre. J’étais à Londres et j’ai fait appel à un hypnotiseu­r pour les retenir, ces paroles ! Et ça a marché. Mais je ne pense pas avoir rencontré Boris Vian.

Qu’aimiez-vous chez Serge particuliè­rement ?

J’aimais surtout sa voix. Et son personnage aussi : il était laid et beau pour moi. Beaucoup de femmes sont tombées sous son charme. Il avait quelque chose en lui de très attirant. L’intelligen­ce, le talent, c’était très attirant.

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En 1973, lors de l’émission

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