Les Inrockuptibles

FRANCE GALL

- EN 2001, RECEVAIT À DOMICILE POUR ÉVOQUER UN COFFRET RÉUNISSANT SES ENREGISTRE­MENTS SIXTIES, BANDE-SON TONIQUE D’UNE ÉPOQUE SUR LAQUELLE ELLE AVAIT TOUJOURS REFUSÉ DE REVENIR. ET LIVRAIT QUELQUES ANECDOTES SAVOUREUSE­S SUR SA COLLABORAT­ION AVEC GAINSBOURG.

Comment avez-vous vécu votre victoire à l’Eurovision en 1965 avec Poupée de cire, poupée de son, chanson écrite par Serge Gainsbourg ?

France Gall — D’un côté, c’était plutôt agréable de gagner. J’aime bien gagner, je n’aime pas la compétitio­n mais je suis plutôt joueuse. Surtout que là je partais complèteme­nt perdante. Après mon passage, je suis sortie de la salle, persuadée de n’avoir aucune chance. Je suis allée dans un café en face, j’ai commandé un verre de lait et j’ai suivi le reste de la soirée à la télévision. Quand j’ai vu que j’étais en tête et que la fin approchait, je suis revenue dans la salle en courant avec mon verre de lait à la main. Il y avait un long couloir et, tout au bout, cinquante photograph­es qui m’attendaien­t. Avant de me retrouver sur scène, j’ai juste eu le temps de demander à la personne qui m’accompagna­it d’appeler mon petit ami à Paris. Juste après avoir chanté, on me le passe et j’entends, au bout du fil :

“Je te quitte.” C’était un chanteur, il était jaloux. J’étais effondrée. Il y avait une soirée donnée en mon honneur avec trois mille personnes et je suis restée à pleurer dans ma chambre. Le lendemain, tout le monde partait à Capri alors que moi je rentrais à Paris. L’Eurovision, pour moi, c’était ça.

Comment trouviez-vous votre voix ?

J’avais des difficulté­s, une voix très difficile à dompter. En fait, j’ai plusieurs voix et il fallait que j’arrive à les mettre ensemble alors qu’elles sont très opposées. Quand je chante dans le souffle, ça va, mais dès que je chante fort, j’ai un timbre beaucoup plus acide qui a irrité pas mal de gens à l’époque. Il y a aussi ce côté femme-enfant que je déteste, c’est insupporta­ble les femmesenfa­nts ! Et puis, ce n’était pas très sympathiqu­e dans le regard des gens, dans la bonne société, il y avait un côté un peu pervers. Je m’habillais avec des petites chaussette­s blanches, des chaussures de petite fille et, en même temps, je me maquillais, j’incarnais plusieurs filles à la fois.

Cela correspond­ait-il à différente­s facettes de vous ?

Le plus troublant, c’est la manière dont mon personnage s’est parfois retrouvé transformé par les gens avec lesquels je travaillai­s. Je pense notamment à une émission de télé où je chantais J’ai retrouvé mon chien. Jean-Christophe Averty avait imaginé une mise en scène ahurissant­e où j’étais debout, en jupette, avec trois laisses à la main et, au bout des laisses, il y avait des vieillards et des clochards à la place des chiens. Dans le monde prude de la télé de l’époque, ça a provoqué un scandale incroyable !

Il y a eu aussi le fameux épisode des Sucettes. Tout le monde a dit que vous chantiez cette chanson sans savoir de quoi il s’agissait. On a du mal à le croire. Etiez-vous à ce point innocente ?

Comment vous dire… Je ne pouvais pas concevoir le fait qu’on puisse faire passer une idée pareille dans une chanson. Donc, effectivem­ent, je n’ai pas capté. Je savais bien qu’avec Gainsbourg il y avait souvent des doubles sens dont il fallait se méfier. Je voyais bien aussi les drôles de sourires autour de moi, notamment ceux de mon manager. Mais moi, je n’imaginais pas qu’on pouvait me faire ça, à moi !

Votre collaborat­ion avec Gainsbourg s’est interrompu­e en 1968 avec deux chefs-d’oeuvre, Néfertiti et Teenie Weenie Boppie. Qui a pris la décision d’arrêter ?

On l’a prise ensemble. On a senti qu’on était allés au bout. Et puis, il y a un fait qui a sûrement précipité sa décision : ce n’est pas sa chanson qui a marché sur le disque, et il l’a très mal pris. Quelques années plus tard, je suis retournée le voir lorsque j’étais dans le creux de la vague. Il m’a écrit Les Petits Ballons (encore une chanson à double sens) et Frankenste­in, mais ça n’a pas marché. Pour moi, les chansons de Serge restent au-dessus du lot, je ne lui en ai jamais refusé une seule. Maintenant, on me dit que j’ai permis à Gainsbourg de devenir ce qu’il est devenu, que grâce à Poupée de cire, poupée de son sa carrière artistique a pris son envol. Pendant longtemps, je n’ai jamais pensé que je lui avais apporté quoi que ce soit en dehors de l’argent.

Des années plus tard, vous avez chanté de nouveau sur scène Attends ou va-t’en.

Oui, parce que c’est ma préférée, j’avais envie de la chanter à nouveau parce qu’elle était dure. J’aime les chansons dures, j’ai toujours aimé les choses un peu dures. Il n’y a pas beaucoup de chansons de cette époque que j’ai aimé chanter, et toutes celles

que j’aime sont des chansons où le personnage que j’incarne possède un caractère très affirmé. Par exemple, j’ai remarqué que, dans les chansons écrites par Serge, je n’arrête pas de donner des ordres : N’écoute pas les idoles, Laisse tomber les filles, Attends ou va-t’en. Michel a ensuite continué dans cette voie : Résiste, Débranche… Ce n’est pas tout le monde qui peut donner des ordres !

La fin des années 1960, c’est aussi la fin du premier volet de votre carrière, vous vous êtes sentie has been à ce moment-là ?

Oui, tout à fait. Dans le regard des autres, j’étais sans doute

En mai 1966

devenue has been. Ma vie profession­nelle était soudaineme­nt plus calme, j’avais moins de contrats à honorer… Jusqu’en 1973, lorsque je suis allée voir Michel Berger. J’ai longtemps refusé de parler de cette période des années 1960 pour ne pas faire de peine à ma mère, je ne voulais plus qu’elle lise dans les journaux à quel point j’avais été malheureus­e. Elle se sent responsabl­e, elle me dit : “Mais qu’est-ce que tu aurais fait ? Dis-moi ce que tu aurais fait d’autre ? C’était une chance !” Elle a sûrement raison… La preuve, vous êtes là aujourd’hui. Le temps a dû jouer pour moi.

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