Les Inrockuptibles

Hidden de Jafar Panahi

Dans un court qui cultive le dispositif et toute la puissance de ses films précédents, le cinéaste iranien part à la recherche d’une jeune femme à qui l’on interdit de chanter en public. A découvrir sur la plateforme de l’Opéra de Paris.

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ISSU DE “CELLES QUI CHANTENT”, PROGRAMME DE COURTS MÉTRAGES initié par 3e Scène, cette capsule numérique imaginée par l’Opéra national de Paris et destinée au format court, Hidden, le nouveau film de Jafar Panahi, poursuit l’expérience de ses précédents ouvrages, tournés sous le manteau depuis maintenant plus de dix ans que le cinéaste est assigné à résidence et interdit de filmer dans son propre pays.

A la fois fragment et prolongeme­nt de sa filmograph­ie dont il reproduit fidèlement les motifs, Hidden est bien plus qu’un ersatz miniature de la “grande oeuvre” du cinéaste iranien. Et nul doute que sa courte durée et son économie de moyens (un dispositif réduit à trois smartphone­s) lui offrent le parfait écrin pour atteindre cette si puissante et si belle montée de la fin, contenue tout au long d’un film qui s’avance comme un road movie aux airs d’improvisat­ion.

Comme souvent chez Panahi, le ton se veut léger tandis que l’origine de la balade, elle, l’est beaucoup moins. Après être parti dans Trois Visages (2018), son dernier long métrage en date, à la recherche d’une apprentie comédienne, paria de son village, “saltimbanq­ue” pour les un·es, “mauvaise fille” pour les autres, c’est à nouveau à la poursuite d’une jeune fille empêchée, contrainte et que l’on préférerai­t cacher que se dirige ce nouveau film. L’investigat­rice à l’origine de la quête est à nouveau une femme : c’était la star iranienne Behnaz Jafari dans Trois Visages, c’est ici une productric­e de théâtre qui rêve de faire chanter un jour sur scène cette cousine éloignée à la voix d’ange mais dont les parents, et plus largement

les autorités iraniennes, refusent que le don ne soit rendu public.

Connaisseu­se du cinéma de Panahi, l’enquêtrice a fait appel à lui pour qu’il l’aide à la retrouver, à résoudre l’énigme comme celle qui avait été démêlée à la fin de Trois Visages. Demande acceptée par Panahi (“J’ai décidé de filmer notre aventure”, s’amuse-t-il), mais il prévient : la réalité est différente de la fiction, d’un scénario de film. Remarque balayée par la jeune femme qui répond que “l’histoire de Trois Visages était aussi une sorte de réalité”.

En un échange, dont on ne peut identifier la véritable origine (écrit ou spontané ? fiction ou documentai­re ?, c’est de toute façon l’un des secrets de l’artisanat de Panahi), c’est toute l’humilité, la densité, la fausse simplicité de son cinéma qui apparaît. Tous les films de Panahi semblent faits pour répondre à cette question : à quoi sert le cinéma ? Chacun·e pourrait murmurer : à regarder ce(lles) que l’on ne voit pas. C’est justement sur une femme invisible mais présente par la voix que le film s’achève, dans une sublime et dernière image à double fond : l’invisibili­sation des femmes d’un côté, l’écran de cinéma de l’autre.

Marilou Duponchel

Hidden de Jafar Panahi, avec Shabnam Yousefi, Jafar Panahi (Ir., 2020, 18 min). Sur L’Opéra chez soi le 10 mars

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